Depuis plus de 20 ans, la loi sur les chiens dits « dangereux » contrôle sévèrement les conditions de vie de certaines races de chiens dans l'objectif de protéger les humains des morsures.
Toutefois, il semblerait que cela soit inefficace. Pourquoi les chiens catégorisés ont-ils été ainsi tenus responsables pour les cas de morsures ? Comment peut-on protéger les humains et les chiens en faisant évoluer cette loi ?
Que dit la loi sur les chiens dangereux de 1999 ?
La loi de 1999, qui a été ajustée en 2008, classe les chiens en deux catégories :
Les chiens de catégorie 1 : American Staffordshire terrier, Mastiff (Boerbulls) et Tosa (tous non inscrits au LOF - Livre des Origines Françaises). L’acquisition, la vente ou le don de chiens de première catégorie est interdite en France.
Les chiens de catégorie 2 : American Staffordshire terrier, Tosa, Rottweiler (tous inscrits au LOF) et chiens non LOF assimilables au Rottweiler. Le futur propriétaire d’un chien de catégorie 2 doit suivre une formation et obtenir un permis de détention. Le chien doit avoir subi une évaluation comportementale. Dans tous les lieux publics, le chien de catégorie 2 doit porter une laisse et une muselière (Plus d'infos sur service-public.fr).
Cette loi, qui peut paraître contraignante, voire injuste aux yeux de certains, vise donc les chiens réputés mordeurs. Une image qui est régulièrement et largement véhiculée par les médias.
La loi sur les chiens « dangereux » est-elle fondée ?
« La loi sur les chiens dangereux a été produite dans un contexte médiatique houleux », nous explique le Dr Stéphane Tardif, docteur vétérinaire comportementaliste.
« A la suite d’une polémique sur la dangerosité présumée de certains chiens, les législateurs ont répondu à une pression publique en produisant ce texte, sans toutefois avoir un dialogue suffisant avec les autorités scientifiques, notamment les vétérinaires, qui étaient unanimement opposés à une classification raciale, par exemple ».
Emmanuel Tasse, président du club de race de l’American Staffordshire terrier, lutte contre la loi sur les chiens dits « dangereux ».
En 2006, il a d’ailleurs créé le 4C, un collectif de professionnels du Chien (scientifiques, vétérinaires, éducateurs canins, éleveurs, comportementalistes, acteurs économiques du milieu canin, etc.) prônant la révision de cette loi et la mise en place d'une réelle politique de prévention des morsures de chiens.
Partant du principe que cette loi n’a aucun fondement scientifique, ce collectif vise à démontrer son inefficacité quant à la réduction de nombre de morsures de chiens.
« On recense 300 000 morsures de chiens par an, soit une morsure toutes les deux minutes. Or, seuls 5% des chiens sont catégorisés. On voudrait donc nous faire croire que cette loi va empêcher les morsures alors qu’elle ne concerne que 5% des chiens ? », s’interroge Emmanuel Tasse.
>>> Certaines personnes risquent plus que d’autres d’êtres mordues par un chien, en faites-vous partie ?
Quels problèmes cette loi pose-t-elle ?
Si cette loi est remise en question près de 20 ans après sa création, c’est parce qu’elle est « contreproductive », d’après le fondateur du 4C : « non seulement elle n’est pas scientifiquement prouvée, mais elle incite les gens à penser qu’il n’y a que trois races qui mordent ! ».
Pour Chantal Hazard, professeur formatrice retraitée de l’Education Nationale et fondatrice du PECCRAM (Programme d'Éducation à la Connaissance du Chien et au Risque d'Accident par Morsure), « ces lois sont imprécises puisque tout chien non inscrit au LOF et ressemblant à un Staff pourra être reconnu dangereux. On se base donc sur des critères purement morphologiques.
D'autres chiens d'attaque ou de défense ne seront paradoxalement pas réputés dangereux s'ils n'ont pas la morphologie définie par la loi alors que mal éduqués, ces chiens pourraient s'avérer tout aussi dangereux ».
Un autre problème que pose cette loi est davantage d’ordre social : « Créer des lois concernant les chiens dits dangereux, c'est classer ces chiens comme DEVANT être dangereux donc inciter à les rendre ainsi pour respecter l'image sociale que l'on attend d'eux », explique Chantal Hazard.
Et d’illustrer : « Toutes les formalités administratives affairant à la possession de ce type de chien coûtent très cher (assurances, évaluation comportementale, formation particulière de 7h pour avoir le permis de détention de tels chiens dits catégorisés) et ne sont pas efficaces.
En effet, des règlementations trop strictes amènent automatiquement des dérives parfois volontaires chez l'humain pour projeter au travers du chien un besoin de désobéissance sociale ».
L’image que l’on a de ces chiens, qui est véhiculée au sein de l’opinion publique, n’arrange rien : « Les médias décrivent ces chiens comme dangereux, certains propriétaires se serviront de ce critère pour refléter le modèle social d'un couple humain/chien dangereux. C'est aussi cela qui est dangereux », ajoute Chantal Hazard.
Enfin, la loi sur les chiens dits dangereux a pour conséquence la pratique de milliers d’euthanasies : « 20 000 euthanasies depuis 1999, uniquement à cause de critères morphologiques », précise Emmanuel Tasse. « C’est donc une euthanasie toutes les huit heures ! ».
Parallèlement, ajoute-t-il, « le nombre de morsures a augmenté de 40% depuis la mise en place de cette loi ». Et en raison du « délit de sale gueule » dont ils sont victimes, « les chiens catégorisés peinent à trouver des adoptants », affirme Emmanuel Tasse.
Les chiens de catégorie 1 et 2 sont-ils vraiment dangereux ? La réponse en vidéo :
Alors faut-il supprimer ou modifier la loi sur les chiens dangereux ?
Pour le Dr Tardif, cela ne fait aucun doute : « la loi ne répond donc pas au besoin qu’elle est censée satisfaire, et mériterait d’être modifiée, pour intégrer notamment les données de l’éthologie moderne, et modifier les procédures actuelles astreignantes et souvent peu efficaces ».
Un avis qui correspond d’ailleurs à celui des Français : d’après un sondage Wamiz, pour 53% d’entre eux, il est nécessaire de modifier la loi sur les chiens dits dangereux. Pour 24%, il faut même la supprimer complètement. En revanche, 22% des sondés estiment qu’il faut la conserver telle qu’elle est actuellement.
Pour Vianney Pouyat, dog-trainer, « il faut arrêter de penser que ces chiens sont accessibles à n'importe qui ! Le problème de ces races, c'est qu'elles sont toujours à la mode depuis 25 ans, et que n'importe qui les adopte... Les personnes qui les prennent sous-estiment quasi-systématiquement les problèmes auxquels ils sont confrontés, et ensuite il y a des accidents... », déclare-t-il.
Fort d’une expérience « sur le terrain » de 8 ans, le dog-trainer assure « qu’à partir du vieillissement, entre 4 et 7 ans, ces chiens posent plus de problèmes quand ils sont dans des foyers un peu laxistes ».
S’il n’est pas défavorable à la suppression de la loi, Vianney Pouyat souhaiterait en revanche voir émerger « un protocole avec des permis de détention et des évaluations comportementales pour les chiens, et de compétences pour les maîtres, avec des stages réguliers ». Tous les propriétaires de chiens, quelle que soit la race, seraient alors concernés.
« Toutefois, nuance-t-il, c’est une ligne que je ne veux pas porter de façon officielle dans la mesure où j'estime qu'il y a conflit d'intérêt entre le fait de proposer ce genre de stage, et faire du lobbying pour que cela entre dans le cadre d'un protocole légal pour la détention de certains chiens ».
Mais alors se pose la question de la modification de cette loi : comment pourrait-elle évoluer ?
Comment faire évoluer la loi des chiens dangereux ?
Eva Dia, fondatrice et présidente de l’association Gueules d’anges (qui œuvre en faveur des chiens catégorisés), partant du principe que « les chiens de catégorie 1 et 2, ne sont, à ce jour, pas les chiens les plus mordeurs », aimerait une généralisation de la loi pour l’ensemble des chiens. « Le permis de détention devrait être obligatoire pour tous les propriétaires de chiens, toutes races confondues », estime-t-elle.
Elle propose également une révision de l’évaluation comportementale à laquelle les chiens de catégorie 1 et 2 sont soumis :
« Lors de la visite comportementale, le vétérinaire octroie une note de 1 à 4 (note qui définit le niveau de socialisation et le comportement du chien - 1 étant la meilleure note et 4 la plus basse). En France, il s'agit d'un classement qui a des conséquences pour les notes le plus basses (3 et 4).
Or, dans d'autres pays, les notes positives, ont une conséquence positive et, par exemple, le port de la muselière n'est plus obligatoire. En France, aucun avantage découle des chiens qui sont évalués bien équilibrés », déplore-t-elle.
La présidente des Gueules d’anges rappelle d’ailleurs que « la loi isole ces chiens en raison de leur interdiction d’aller dans certains lieux publics, et de l’absence de communication par la bouche à cause de la muselière, ce qui a pour conséquence de les rendre moins sociables ».
Le collectif du 4C, quant à lui, mise sur « une réelle politique de prévention des morsures de chiens ».
Celle-ci se traduirait par :
- l’identification obligatoire des chiens (qui est déjà obligatoire mais encore trop peu souvent appliquée puisque 25% des chiens ne seraient actuellement pas identifiés)
- la déclaration obligatoire des cas de morsures (on estime à moins de 1 % les cas de morsures effectivement déclarés)
- la mise en place d’une structure nationale destinée à récolter les données résultant des déclarations de cas de morsures (pour les analyser et les comprendre afin d'adapter au mieux les politiques de prévention mises en œuvre)
- la mise en place d'un système d'identification des chiens potentiellement dangereux (en fonction de leur propre comportement et non de leur appartenance raciale)
- Des mesures adaptées au cas par cas, après analyse de l'animal, comme la tenue en laisse, la muselière, la formation du maître, etc.
Enfin, plus généralement, le collectif du 4C souhaite mettre en œuvre une stratégie globale de sensibilisation et d’information à destination de tous.
La prévention contre les morsures : la solution ?
Qu’ils soient dits « dangereux » ou non, tous les chiens (même le plus gentil des chiens !) sont susceptibles un jour de mordre.
Chantal Hazard insiste sur le fait que malgré leur puissance physique et la force de leur mâchoire, les chiens catégorisés « sont des chiens aussi merveilleux et affectueux que d'autres s'ils sont éduqués et socialisés à toutes sortes d'environnements. Tous les chiens doivent être éduqués et socialisés et c'est le défaut d'éducation qui crée des dégâts et des morsures. »
L’important ne résiderait donc pas dans le fait de juger un chien sur ses caractéristiques raciales, mais dans le fait de savoir détecter les signaux annonciateurs d’une morsure, quel que soit le chien.
Pour ce faire, la prévention semble la clé : « le programme PECCRAM vise à sensibiliser les enfants pour qu’ils deviennent les adultes éduqués de demain, et des ambassadeurs auprès des adultes sur la conduite à tenir face à tous les chiens », explique Chantal Hazard.
En ce sens, la fondatrice du PECCRAM souhaiterait pouvoir proposer « systématiquement une petite formation à tout nouveau propriétaire de chien ». Une formation qui lui est d’ailleurs « de plus en plus demandée ». Mais pour que cette initiative atteigne ses objectifs, il faudrait, d’après l’ex-enseignante, « qu’elle soit obligatoire et financée, afin que le critère de l’argent ne soit pas un frein ».
Alors que la loi sur les chiens dits dangereux ne semble pas réduire les cas de morsures de chiens, ne serait-il pas le moment de penser à sa révision ? Puisque les idées ne manquent pas et que des moyens existent, il ne reste plus qu’à l’Etat de les mettre en place… mais encore faut-il qu’il en ait la volonté. Espérons, donc, que le gouvernement ait conscience que la morsure est un enjeu de santé publique.
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