Le chien est un animal surprenant. Ses capacités extraordinaires, souvent qualifiées de « 6ème sens », commencent peu à peu à dévoiler leurs mystères. Les chercheurs comprennent alors mieux comment fonctionnent le cerveau.
Connu pour son odorat exceptionnel, il est depuis longtemps utilisé par l’humanité pour la recherche et le pistage. Mais les odeurs transmettent bien plus : le concept de phéromone, très récent en biochimie, est un sujet vaste et complexe : on suspecte fortement leur existence, mais à ce jour, on n'en connait peu (1). La définition d'une phéromone selon les scientifiques semble en effet trop restreinte pour évoquer tous les signaux odorants.
Quand on s'intéresse à un ensemble plus vaste de molécules odorantes, les chimio-signaux, on découvre aujourd’hui comment le chien arrive à sentir nos émotions, et même les maladies.
Mais il n’y a pas que l’odorat qui intervient : le chien utilise tous ses sens pour répondre aux signaux que notre corps envoie, volontairement ou non. En écoutant notre voix, et en observant nos gestes et postures, il peut déceler nos émotions et notre détresse, alors même que nous l’ignorons. Mais comment le chien fait-il pour sentir la maladie chez les humains ?
Le chien, cet animal qui observe
Nous qui communiquons à l'aide de mots, nous oublions souvent qu'une grande part de la communication dans le monde animal passe par la vue. Ce sens permet en effet d'échanger de nombreux messages, et nombreuses sont les méthodes que les animaux utilisent, même ceux dont la vue n'est pas aussi développée que la nôtre.
De plus, le chien est un animal intelligent, et social : vivant en groupe, l'espèce a développé des comportements de communication très complexes. Cela lui permet d'exprimer ses émotions, et ses états mentaux.
Il s'avère que ce n'est pas le seul ! L'humain, comme de nombreux mammifères, exprime des émotions entre autres avec son corps. Le chien, qui a évolué près de l'humain depuis longtemps, s'est particulièrement bien adapté à lui.
De nombreuses recherches en attestent aujourd'hui : de la renaissance des émotions humaines (2), à nos gestes comme le doigt pointé (3), le chien nous observe et « nous lit », constamment. Cela peut être un moyen pour lui de détecter nos moments de faiblesse, et surtout la maladie, que le corps exprime souvent malgré nous.
Le chien, cet animal qui écoute
En 2014, le Groupe de Recherche en Ethologie Comparative de Budapest (le MTA-ELTE) a dirigé une étude qui compare l’activité des cerveaux canins et humains, sous IRM. En écoutant des voix humaines, il s’avère que les sujets (chiens et humains) activent les mêmes zones auditives primaires (4), impliquées dans la reconnaissance des émotions.
Ainsi, il n'y a pas que la vue qui renseigne le chien sur notre état mental. Il semble être également sensible à la voix. Naturellement, le son de notre voix dépend de nos émotions, c'est pourquoi le cerveau apprend à distinguer les différentes nuances de tonalités qui apparaissent entre ces émotions.
En cumulant ses observations et ce qu'il entend, le chien fait preuve d'empathie émotionnelle. La recherche n'atteste pas encore de ce qu'est l'intelligence, exactement, mais elle fait consensus aujourd'hui pour dire qu'elle est multiple : analytique ou intuitive, émotionnelle ou cognitive,... L'empathie émotionnelle correspond à la capacité de percevoir les émotions des autres individus.
Cependant, il faut bien comprendre que ce que le chien perçoit est notre état mental. Il n'a pas conscience de ce qu'est la maladie, même s'il répond à notre état comme le ferait notre espèce sociale : avec compassion ! « Les chiens sont naturellement sensibles aux changements de leurs proches », affirme Alexandra Horowitz, à la tête du Horowitz Dog Cognition Lab au Barnard College.
Le chien, cet animal qui renifle pour sentir la maladie
Avec l'odorat, la recherche montre que le chien va plus loin que simplement percevoir la détresse. Car dans tous les exemples cités plus haut, aucun ne montre comment le chien fait. Cela permet juste d'affirmer que le chien peut identifier les situations de détresse. Naturellement, avec l'odorat, le chien semble également reconnaître nos émotions, comme la peur.
Miantenant qu'on connait le lien, il faut déterminer le mécanisme. Une étude récente s'intéresse enfin aux chimio-signaux transmis entre l'humain et le chien (5). L'étude met en présence des chiens et des humains (le propriétaire et un étranger), dans trois contextes olfactifs : peur, bonheur et témoin (sans odeurs).
Des diffuseurs d'odeurs sont réalisés avec des vêtements imprégnés de la sueur d'humains (sans rapports avec les propriétaires). Le sujet était alors soit stressé, soit dans un contexte agréable : on suppose que les odeurs émises chimiquement à ce moment imprègne le vêtement.
Les résultats montrent qu'en présence d'un diffuseur d'odeurs « peur », le rythme cardiaque et les comportements relatifs au stress étaient bien plus élevés chez le chien (que ce soit avec son humain de compagnie, ou l'étranger). Cela montre que le chien est sensible à des éléments chimiques qui voyagent notamment dans la sueur ! Cela paraît évident à l'observation, intuitivement, mais la recherche dispose de peu de preuves de l'existence de ces chimio-signaux.
Avec les odeurs « joie », les chiens ont eu la même réaction qu'avec le groupe témoin, ce qui semble montrer que la joie ne véhicule pas d'odeur particulière, ou que les chiens ne s'y intéressent pas dans l'expérience proposée.
Au final, nous disposons maintenant de preuves que le chien détecte des chimio-signaux autres que les phéromones, mais il reste encore à identifier chaque molécule, et cela risque d'être fastidieux. Toutefois, c'est une piste intéressante qui pourrait expliquer en partie comment les chiens sentent la maladie.
Cela fait quelques années que la recherche montre comment les chiens détectent des maladies comme le cancer, que ce soit sur prélèvement ou directement en reniflant le patient. Ces chimio-signaux sont intéressants à plus d'un titre, car il suffirait alors de les rechercher pour détecter précocement un grand nombre de maladies, et ce sans même avoir à prélever le patient, puisqu'il émet le message chimiquement lui-même !
Ce qui est formidable, et ce que ces études montrent, c'est à quel point l'odorat est complexe, et celui du chien performant. Nous pouvons à peine l'imiter, et nous sommes très loin de pouvoir l'égaler ! En attendant, attendons-nous à voir des chiens investir nos hôpitaux aux côtés des médecins, car leur présence est utile à plus d'un titre !
Dr Stéphane Tardif
Docteur vétérinaire et rédacteur pour Wamiz
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Bibliographie :
- Benoist Schaal, Gérard Coureaud, Dominique Langlois, Christian Giniès, Etienne Sémon & Guy Perrier (2003) Chemical and behavioural characterization of the rabbit mammary pheromone. Nature, volume 424, pages 68–7
- Nagasawa M, Murai K, Mogi K, Kikusui T (2011) Dogs can discriminate human smiling faces from blank expressions. Anim Cogn 14:525–533
- M. Gácsi, B. Győri, Z. Virányi, E. Kubinyi, F. Range, B. Belényi, Ádám Miklós (2009) Explaining dog wolf differences in utilizing human pointing gestures: selection for synergistic shifts in the development of some social skills. PLoS One, p4. e6584, 10.1371
- Attila Andics, Márta Gácsi, Tamás Faragó, Anna Kis, Ádám Miklósi (2014) Voice-Sensitive Regions in the Dog and Human Brain Are Revealed by Comparative fMRI.Current Biology, Volume 24, issue 5, P574-578, March 03
- Biagio D’Aniello, Gün Refik Semin, Alessandra Alterisio, Massimo Aria, Anna Scandurra (2018) Interspecies transmission of emotional information via chemosignals: from humans to dogs (Canis lupus familiaris). Animal Cognition, January 2018, Volume 21, Issue 1, pp 67–78