On appelle empathie la capacité d’un individu à ressentir les émotions perçues par un autre, de son point de vue : c'est un talent souvent décrit chez les espèces sociales comme l’humain ou le chien. Cela permet la cohésion du groupe social, quand chaque individu se montre attentif aux réactions des autres, et à leur bien-être.
Mais bien au-delà de ce besoin, il est une émotion que les animaux apprennent à identifier rapidement, car essentielle pour leur survie : la peur. Savoir reconnaître la peur est en effet source de salut, puisque cela permet généralement d’éviter des dangers.
Comment le chien, ou les animaux d’une manière générale, font-ils pour identifier la peur chez leurs congénères, ou d’autres espèces ? Le chien, en tant qu’individu social, est-il capable de comprendre nos peurs ? Peut-il la sentir simplement avec son flaire ou utilise-t-il d'autres techniques ?
Les émotions fondamentales, et leur rôle dans la communication
Tout d’abord, il faut bien comprendre qu’exprimer une émotion est comme le clignotant de la voiture : c’est un signal, envoyé par l’émetteur, qui permet d’informer son entourage sur son état mental du moment. Joie, colère, peur, surprise, dégoût, tristesse : plus les animaux ont des comportements complexes, plus ils ont tendance à exprimer une grande variété d’émotions différentes.
La peur est une émotion assez récurrente : la majorité des animaux l’expriment face à un danger, et cela permet d’avertir les autres individus exposés. La peur est donc souvent contagieuse, même entres différentes espèces : les cris ou la fuite d’autres animaux vont entrainer inquiétude voire peur chez tous les autres, à défaut d’identifier directement ce qui les fait fuir.
Le chien peut-il comprendre nos peurs ?
Le chien est un animal social, et domestiqué : il vit en groupe, et depuis plus de 10000 ans, il vit parmi les humains. De plus en plus d’études tendent à attester d’une nette différence entre le chien, et son cousin proche le loup, dans leur familiarité à l’humain. Le chien a notamment beaucoup plus de facilité à reconnaître les émotions humaines, et en tenir compte.
Le chien est donc tout à fait capable aujourd’hui de lire notre peur, comme d’autres de nos émotions : il utilise pour cela tous les signaux d’une communication habituelle, visuels, sonores et/ou olfactifs.
D’ailleurs, là où l’humain utilise principalement les canaux visuels et auditifs pour communiquer, il y a fort à parier que le chien utilise plusieurs sens également, dont l’olfaction. Nous n’avons pas découvert à ce jour de « phéromone de la peur » car à vrai dire, à ce jour, nous ne connaissons qu’une seule authentique phéromone, sensus stricto (chez le lapereau lors de la lactation. Ce qu’on appelle phéromone dans le langage courant désigne souvent plus de simples « molécules odorantes ». Il est très probable qu’un animal effrayé (humain ou non) émette un certain nombre de ces molécules odorantes, même si nous les découvrons à peine.
Par contre, si le chien peut percevoir et ressentir notre peur, il n’est pas toujours capable de réaliser exactement ce qui nous fait peur. Il peut même y avoir des confusions désastreuses : par exemple, un maître qui change de trottoir en voyant un autre chien, parce qu’il a peur pour son chien, pourra renforcer la peur de son chien vis-à-vis de ses congénères.
C’est un point essentiel de la cognition canine à comprendre : le chien réalise des associations entre des évènements qui sont synchronisés dans le temps. Le contexte que le chien perçoit lorsque vous manifestez votre peur est donc souvent associé à cette émotion, même si ce n’est pas l’origine exacte de votre peur.
Comment le chien réagit-il en percevant notre peur ?
Ainsi, suivant ce que le chien perçoit, il peut avoir des réactions très variables.
Quand le chien perçoit un stimulus effrayant, qu’il soit à l’origine de notre propre peur ou non, celle-ci renforcera la peur que le chien a pour cet objet. A terme, la répétition de ce type d’évènements peut déclencher des phobies. Il est rare que le propriétaire le fasse consciemment, et parfois, c’est même simplement le fait de rassurer le chien qui traduit notre peur. Le chien est très vigilant sur ces signes inconscients : un comportement inhabituellement bienveillant de notre part est peut-être dû à un danger…
Certains chiens réagiront donc en amplifiant leur propre peur. Il faut particulièrement se méfier de la situation où c’est le chien lui-même qui fait peur à l’humain : on est face à un cercle vicieux qui peut rapidement conduire à l’accident.
Ceci est d’ailleurs valable pour tout animal : il n’est pas recommandé d’approcher une bête quand on n’est pas maître des signaux de peurs que son corps peut envoyer, consciemment ou pas, car les animaux sont très vigilants à ces signaux non verbaux.
D’une manière générale, le chien a tendance à réagir comme une éponge émotionnelle : il s’appuie sur nos émotions pour le guider. C’est pourquoi, pour rassurer un chien, il est essentiel de se calmer et de se détendre soi-même, avant toute autre chose.
Il faut également envisager la réaction du chien par rapport au stress. La peur n’est pas réservée qu’aux instants de panique, et il existe des peurs qui se manifestent plus dans la durée, ce qu’on appelle couramment un stress, voir une anxiété.
Le chien est très sensible à ces états mentaux : un humain de compagnie quotidiennement stressé aura tendance à transférer inconsciemment ce stress à son chien. Par ailleurs, dans ces situations de peur, les chiens ont montré plus de signes de stress, cherché plus de réconfort auprès de leur propriétaire et eu moins de contacts sociaux avec les étrangers.
Comment nos peurs se transmettent-elles au chien ?
Je finirai sur une anecdote, qui traduit ce que le ressenti de notre peur par le chien peut provoquer, en illustrant les propos ci-dessus. Lors d’une nuit de garde d’été, en tant que vétérinaire à domicile, ma dernière consultation se déroula vers 5h. Le motif de consultation concernait un chien qui haletait et qui n’arrivait pas à dormir. Il faisait très chaud, et nombre de personnes ou d’animaux avaient effectivement du mal à trouver le sommeil.
Je découvris en arrivant un appartement dans un état… disons, oppressant : un passage reliait la cuisine à la chambre, mais tout le reste de l’appartement était encombré d’objets divers, certains tas montant jusqu’au plafond, rendant tout déplacement difficile. La consultation se déroula sur un demi-canapé, faute d’avoir une surface dégagée ou poser le chien.
La personne qui m’a accueilli était particulièrement stressée de l’état de son chien, et s’inquiétait notamment de le voir haleter. Le toutou semblait effectivement avoir chaud, comme tout le monde en cette période, mais sans autre problème décelable.
Mon travail en tant que vétérinaire n’était donc pas présentement de soigner l’animal, mais de rassurer cette personne sur son état en lui donnant des conseils préventifs, pour qu’eux deux puissent trouver le sommeil calmement malgré la chaleur !
Ainsi, le chien est bien capable de reconnaître la peur chez l’humain, par contre il n’est pas toujours capable de s’en accommoder ou de la comprendre correctement. Il faut donc rester vigilant pour être soi-même une source d’apaisement auprès du chien, plutôt qu’une source de peur, même inconsciemment.
Dr Stéphane Tardif
Docteur vétérinaire et rédacteur pour Wamiz
A lire aussi : Pourquoi le chien lèche-t-il le visage ?