En terme éthologique, on ne va pas parler de raisonnements mais d’apprentissages. L’apprentissage est l’acquisition des connaissances sur l’environnement et leur modification, conduisant à une modification du comportement, et apportant des changements durables dans le comportement de l’individu (Tiberghien, 2002, Dictionnaire des Sciences cognitives).
Le comportement inné est celui qui n’a pas été modifié par des processus d’apprentissages. Concrètement, un animal adulte a en général une majorité de comportements issus des apprentissages.
Nous allons donc aborder les différentes méthodes d’apprentissage que le chien maîtrise également, puis nous verrons les aspects de la mémoire et de la capacité d'attention du chien.
L’apprentissage : qu'est-ce que c'est ?
Dans l’environnement (le monde que perçoit le chien), on définit des objets, avec lesquels le chien va avoir des relations, et des organismes, avec lesquels le chien organise des représentations (des objets, et des relations entre les objets). Puis le chien organise aussi les représentations, et il obtient des optimisations, des stratégies. Il faut bien comprendre que le chien visualise tout cela sans utiliser de mots pour le décrire.
Un apprentissage, c'est la modification, due aux interactions avec l'environnement, de la disposition d'un individu à effectuer un comportement ou une activité mentale. La modification permanente de comportement est une caractéristique importante de l'apprentissage
Le premier apprentissage est alors l’acquisition et le traitement de ces données. Le chien construit alors des expériences, qu’il enregistre dans sa mémoire, et on a alors des modifications durables des connaissances et des comportements, qui construisent sa personnalité. On remarque d’ailleurs que plus l’animal s'entraîne à apprendre, plus il apprend vite : il apprend à apprendre.
Les différents types d'apprentissage
Il existe plusieurs formes d'apprentissages, on va illustrer avec quelques techniques. Les méthodes se distinguent en deux : les apprentissages associatifs, ou non, car la mémoire du chien est dite associative
- L’apprentissage latent : c’est l’apprentissage résultant seulement d’une motivation ou d’une exploration en l’absence de toute forme d’effort (Thorpe 1964).
- L’habituation : c’est la "disparition progressive et relativement persistante d'une réponse à cause d'une stimulation répétée, qui n'est suivie d'aucune sorte de renforcement" (Thorpe 1964). Imaginez la personne qui vous appui sur l’épaule en vous appelant, sans arrêt, vous finirez par l’ignorer : c’est une habituation. On observe aussi le phénomène d’habituation dans la discrimination tactile chez le bébé : en moins de 24h, il est capable de distinguer tactilement les objets, et il passe alors moins de temps à les explorer. Cette technique est très utilisée en thérapie pour les phobies, par exemple.
- On pourrait également évoquer la généralisation, la déshabituation ou la sensibilisation, assez proche, mais la liste n’est pas exhaustive, de toute façon. Ces apprentissages sont individuels, il n’y a pas besoin d’être en groupe pour les réaliser.
Il existe aussi des apprentissages qui sont dits associatifs : ils font intervenir la mémoire associative du chien. Ils sont souvent réalisés en groupe, ou de manière solitaire :
- L’apprentissage par essai erreur : c’est le "développement d'une association, en tant que résultat d'un renforcement durant un comportement appétitif entre un stimulus et un acte moteur indépendant… quand le stimulus et le comportement précèdent le renforcement et que l'acte moteur n'est pas la réponse inhérente de ce renforcement" (Thorpe 1963). En gros, la séquence a trois étapes : un stimulus, auquel l’animal répond par un essai, et si c’est concluant et que ça débouche sur une récompense, on a un apprentissage.
- L’anticipation, ou le travail de séquence : l’animal ne pratique pas d’essai, mais il apprend à reconnaître des séries d’évènements, et les anticiper. C’est par exemple le chien qui anticipe qu’il va sortir dès que vous ouvrez le placard à chaussures…
- Le conditionnement : on finit par l’un des apprentissages les plus connus, mais dont le concept est le plus complexe. Thorpe a également posé les bases en 1951 avec cette définition : c’est un « processus d'acquisition de la capacité de répondre à un stimulus donné avec la réaction réflexe propre à un autre stimulus, quand les deux stimuli sont appliqués concurremment un certain nombre de fois". Il existe des variantes, plus ou moins complexes, le plus simple étant le conditionnement classique.
La mémoire du chien
Le chien a de très bonne capacité de mémorisation. Il retient notamment, comme tous les animaux, les évènements qui le marquent (les joies extrêmes comme les traumatismes). Mais il se souvient aussi très bien des lieux qu'il visite, ou des individus qu'il rencontre.
Comme chez l'humain, tous les chiens n'ont pas les mêmes capacités cognitives, notamment au niveau de la mémoire ! On sait qu'un chien entrainé peut apprendre, par association, plusieurs dizaines d'ordres, avec parfois des séquences de comportements complexes (ouvrir une porte, etc...). Tandis que d'autres chiens peuvent bloquer sur la résolution de problème très simple, comme savoir où se trouve la balle si vous faites semblant de la jeter.
La mémoire du chien est dite associative, c'est-à-dire que le cerveau créer des liens entre différents évènements, et la grosse différence entre nous et le chien, c'est la capacité à lier des évènements dans le temps : pour un chien, il est très difficile de voir la causalité entre deux stimuli s'ils sont espacés de plus de quelques secondes ! C'est pourquoi, quand vous voulez récompenser (et/ou réprimander, même si c'est très rare) un comportement, il faut intervenir à l'instant précis où le chien s'exécute : même 10 secondes après, c'est trop tard. Ce point est d'une importance capitale pour aborder l'éducation d'un chien.
L'attention du chien
Un dernier point à aborder sur le raisonnement du chien, c'est sa capacité à se concentrer sur une tâche compliquée. La majorité des apprentissages, notamment les apprentissages associatifs, nécessite que le chien soit attentif à ce qui se passe autour de lui, et qu'il créer des liens entre les ordres, ses comportements et la récompense. Or, on sait qu'il ne faut pas demander trop d'effort à nos jeunes enfants car leur capacité de concentration sont limités : il en va de même pour le chien, qui a des capacités assez proche du très jeune enfant en matière de concentration. Un chien ne pourra pas rester concentrer trop longtemps sur une tâche compliquée !
Il est d'usage, en éducation canine, de ne pas faire des exercices cognitifs intenses plus de 10-15 minutes. Et c'est déjà long, certains chiens décrocheront au bout de 5 minutes. Il faut ensuite plusieurs heures entre deux exercices pour que le chien récupère : faire marcher la matière grise, ça fatigue, même les chiens ! Bien évidemment, ces capacités de concentration sont aussi très variable d'un chien à l'autre, en fonction de sa race, son âge, son tempérament, ses expériences...
Il ne leur manque que la parole
On reconnait donc aujourd'hui l'intelligence animale, comme étant très proche de la nôtre, dans sa manière de fonctionner. Ce qui nous distingue en termes d'intelligence, ce n'est pas tellement la manière dont le cerveau fonctionne, mais plutôt et simplement la masse de celui-ci. Plus il est gros, plus il y a de neurones et de connexions, plus les capacités développées sont nombreuses et complexes.
Mais nous savons aujourd'hui que certains animaux ont des capacités extraordinaires, très proches des nôtres : l'absence de langage verbal pourrait être la seule limite au développement de concepts abstraits, encore réservé à l'humain. Certains primates montrent même que cette limite n'est pas nette, on connait des chimpanzés qui maitrisent des concepts abstraits par l'apprentissage du langage verbal (notamment la langue des signes).
Mais concrètement, le langage verbal ne suffirait pas à donner les mêmes capacités cognitives que l'homme au chien. Il faudrait que ses capacités cognitives soient plus performantes pour chaque forme d'intelligence : par exemple, l'intelligence spatiale d'un chien est très limitée ! Il a en effet du mal à visualiser dans sa tête des objets en dehors de son champs de vision (on appelle ça la persistance de l'objet) : c'est ce qui rend les jeux de cache-cache particulièrement stimulant pour lui. Il est plus performant que le chat, mais il est bien moins compétent que nous, on le piège facilement !
Il en va de même pour le langage : le cerveau du chien a des capacités de communication, mais le chien a son propre langage, basé sur les odeurs, les postures et les tonalités, et pas sur les mots. Pour reprendre l'exemple de l'intelligence spacial, on peut piéger un chien en faisant semblant de jeter une balle devant lui, mais il peut visualiser et suivre une piste odorante laissée par une personne plusieurs jours plus tôt !
Donc en conclusion, nous comprennons de mieux en mieux comment fonctionne un cerveau, et cela nous aide à mieux comprendre le chien, à mieux comprendre notre propre intelligence, et surtout, nous pouvons améliorer notre relation avec nos chiens sur des bases plus saines, objectives, et moins déformées par notre égo, l'un des obstacles les plus difficile à surmonter dans la réflexion autours de l'intelligence humaine et animale.
Dr Stéphane Tardif
Docteur vétérinaire et rédacteur pour Wamiz