La communication entre deux individus, quelle que soit l’espèce, repose sur trois bases : le message, la capacité de l’émetteur à produire ce message, et la capacité du receveur à y faire attention et le comprendre. Par définition, la communication est donc la transmission d’un signal porteur d’informations, d’un émetteur vers un récepteur, par l’intermédiaire d’un canal (Weaver & Shannon 1949).
Ce qui caractérise l’interaction entre l’humain et le chien, c’est leur capacité d’adaptation l’un à l’autre. La communication est essentielle : chaque couple maître-chien va développer son vocabulaire, ses habitudes, et d’une certaine manière, sa complicité.
Le chien utilise différents signaux : vocalisations, postures… ces signaux sont souvent dérivés de fonctions vitales qui servent maintenant la communication. La ritualisation est le phénomène qui consiste à réorienter les comportements vers la communication (Tinbergen, 1952) ; les signaux deviennent alors des stéréotypes (c’est-à-dire qu’ils sont compris par tous les individus du groupe).
Avant de détailler quels sont les comportements stéréotypés les plus fréquents et leur signification, il est donc important de voir quelles sont les grands axes de la communication canine.
La communication visuelle
Elle correspond à un sens que l’homme et le chien utilisent beaucoup (surtout l’homme). En effet, pour le chien, il est plus facile de distinguer des postures que des sons.
Les mimiques et les expressions faciales sont très développées chez les chiens. On a une grande diversité de musculature faciale, permettant une grande richesse de communication visuelle. On remarque au passage que plus l’espèce est sociale, plus elle a une grande variabilité de mimiques.
Voici les éléments pour constituer une mimique (Fox, 1971) :
- Orientation des oreilles
- Diamètre de l’œil
- Ouverture de la bouche
- Passage répétitif de la langue (« tongue flicking »)
- Retroussement/rétractation de la lèvre supérieure
- Degré de rétractation de la commissure des lèvres
On a plusieurs centaines de configurations possibles avec les variations de ces éléments.
A noter l’importance particulière du regard. C’est souvent le premier degré de menace, mais aussi le premier degré d’évitement (détourner le regard). Jouez avec le regard, et la position du regard (que les chiens suivent très bien) et vous verrez à quel point votre chien y fait attention.
Les postures peuvent signaler l’humeur, ou le tempérament : vers l’avant (tendance à l’approche, assertivité,…) ou vers l’arrière (soumission, évitement,…). Il est très important de faire attention à sa propre posture, on néglige très souvent cet aspect-là dans notre manière de communiquer (même entre nous, cela s’appelle la communication non-verbale, justement).
Le port de la queue, également, renseigne sur l’état émotionnel du chien : un port de queue haut signifie un tonus musculaire plus tendu, avec une posture plus active. Les chiens sans queue sont véritablement handicapés dans leur communication, et s’adaptent en remuant parfois tout l’arrière-train à la place (je dédicace cette réplique à tous les propriétaires de Boxer, qui sauront de quoi je parle), ce qui montre bien l’extraordinaire capacité du chien à s’adapter quand il s’agit de communiquer.
Pour interpréter une posture, il est important de prendre en compte les configurations globales et le contexte, plutôt que de focaliser sur un élément particulier. Par exemple, la célèbre posture d’appel au jeu est utilisée dans le jeu naturellement, mais on retrouve aussi cette posture dans d’autres situations.
Il faut donc bien comprendre que de la même façon que des humains détournent des mots selon leurs besoins, le chien peut détourner une posture pour l’utiliser dans un autre contexte, avec une autre signification. Tout dépend de ses apprentissages, et il est particulièrement doué pour trouver de nouvelles façons de communiquer.
La communication acoustique
Bien que ce ne soit pas le principale mode de communication du chien, les vocalises servent beaucoup. L’avantage de cette communication est qu’elle est perceptible à distance, elle peut alors se coupler à d’autres moyens de communication. Par exemple, une vocalise attire l’attention, et une posture envoie ensuite le message. Les humains sont relativement performants pour identifier les vocalises.
Les sons graves sont souvent associés à des menaces, expression d’une motivation agressive, visant à mettre à distance, à l’inverse des sons aigus, plutôt caractéristique des états de détresse non menaçants (Darwin 1859, Ohala 1984, Morton 1977).
Le comportement vocal du chien est peu étudié voir ignoré, mais on a beaucoup de spéculations. Les aboiements notamment, ont beaucoup d’hypothèses non testées. La fréquence d’émission est différente suivant les races, et le seuil de déclenchement est variable mais globalement bas chez le chien ; autrement dit les aboiements sont « contagieux ».
Par exemple, on a montré que les aboiements varient en puissance sonore, en durée et en fréquence suivant les contextes (isolement, jeu ou perturbations, pour les trois testés). Les aboiements sont plus graves dans le contexte « perturbation ».
Il est important de bien prendre en compte l’ensemble de la posturo-faciale associé à l’émission de la vocalisation, pour tenter de comprendre l‘émotion. La communication est un ensemble, une vocalise seule ne peut pas s’interpréter facilement.
La communication olfactive
L’olfaction permet une communication efficace à courte distance, mais qui a une certaine rémanence dans l’environnement (communication différée). Un chien peut donc envoyer ou recevoir un message avec des heures, voir des jours entre l’émission et la réception.
Les odeurs corporelles sont produites par les glandes sébacées (huileuse, durable) ou les glandes sudoripares.
On a beaucoup de spéculations sur l’odorat : par exemple, il n’y a aucune étude scientifique qui permet de confirmer le fait que le chien se transmet des informations sur le sexe, l’humeur, etc… Bien que ce soit l’un des mythes les plus ancrés dans la communauté canine.
On suppose que c’est important et qu’il y a un message car le chien y attache de l’importance (comme le flairage des sacs annaux), mais on a rien pour le prouver, et on ne sait rien sur le contenu du message, ou même sa nature. La première étape est d’ailleurs de trouver les molécules qui caractériseraient les individus, si on suppose que les odeurs renseignent sur l’identité…
On pourrait citer les phéromones comme support du message, mais la réalité avec les phéromones est loin d’être connue : la seule phéromone identifiée à ce jour est chez le lapin, lors de la lactation. C’est dû à la définition très restrictive d’une phéromone.
Les phéromones sont caractérisées par 5 critères (Beauchampset al. 1976) :
- molécule simple
- perception spécifique au membre de l’espèce
- réponse stéréotypée et spécifique au composé (la même molécule produit tout le temps la même réponse)
- réponse bien définie (une molécule suffit à produire une réponse comportementale)
- réponse indépendante d’apprentissage (on pourrait dire innée)
La majorité des molécules qualifiées de phéromones sont des molécules odorantes, mais soit elles n’entrainent pas de réponses bien définies, soit elles ne sont pas spécifique à l’espèce… Ce ne sont donc pas des phéromones, stricto sensus.
Par exemple, l’urine peut avoir une fonction de communication, car l’état de réceptivité sexuelle du chien receveur modifie ses préférences, avec des comportements autours du marquage. Mais nous n’avons pas identifié dans l’urine de composés qui correspondent aux critères ci-dessus. On manque d’études scientifiques : il faudrait montrer une différence de composants chimiques dans les odeurs entre les individus, puis s’assurer que les chiens perçoivent ces différences.
Leurs capacités avec l’odorat nous dépassent complètement, en témoigne les récentes découvertes en médecine humaine, avec des chiens capables de flairer et détecter certains cancers en hôpital (projet Kdog). C'est donc bien que les molécules odorantes véhiculent des informations, restent à savoir lesquelles et comment.
La communication tactile
Les humains ont une grande propension à toucher les choses, ce qui n’est pas le cas des animaux forcément. C’est un apprentissage pour le chien qu’on lui donne dès sa jeunesse, mais c’est loin d’être inné.
Pour le chien, la communication tactile se restreint à des gestes avec les membres antérieurs (interactions de défi ou de jeu), ou concerne la zone orale (léchages et morsures).
Par contre, dans la mesure où il s’agit d’une interaction souvent très positive avec nous, le chien apprend très vite à réclamer les caresses. Il découvre rapidement le côté agréable des massages, et apprécie le simple fait qu’on s’occupe de lui (parfois plus que la caresse elle-même). Les contacts sociaux sont un besoin fondamental du chien, et il cherchera souvent le contact physique auprès de ses proches (parfois aussi de parfait inconnus, pour les chiens sociables).
On constate donc que la communication du chien est complexe, variée, et s'adapte en fonction des interlocuteurs qu'on lui présente. Il faut notamment distinguer la communication entre chiens (intraspécifique), de la communication entre l'homme et le chien (interspécifique). Il sait parfaitement faire la différence et pourra avoir un comportement très différent en fonction de l'individu avec qui il interagit.
Il faut également s'intéresser au raisonnement du chien, à ses capacités de perception ainsi que sa cognition. Tout propriétaire de chien doit donc apprendre à décrypter la communication de son chien pour mieux le comprendre.
Dr Stéphane Tardif
Docteur vétérinaire et rédacteur pour Wamiz