Avant de mourir, Karl Lagerfeld avait désigné sa chatte Choupette comme l'un de ses héritiers. Mais le couturier peut-il réellement faire de sa chatte une légataire ? C'est la question qui agite en ce moment la toile.
Publié en février 2015, l’article 515-14 apporte un nouveau regard sur l’animal : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens. »
En somme, si cet article définit bien un chien ou un chat comme sensible, il est également clair sur un bien : l’animal est placé sous le régime des biens.
L’animal, un être sensible, mais pas un héritier !
En droit français, la définition d’une personne juridique est importante. En effet, seule une personne peut disposer de droits, et par conséquent, d’une capacité juridique (le droit de posséder).
Or, si l’article de 2015 a reconnu l’animal comme un être vivant doué de sensibilité, il le replace sous le régime des biens et ne le définit pas comme une personne juridique.
Par conséquent, l’animal ne peut faire l’objet d’une libéralité : il n’est pas possible de lui léguer l’ensemble de ses possessions, ni même une partie.
Etant lui-même sous le régime des biens, il faudra donc aborder la question de l’animal sous l’angle matrimonial, par le biais de la succession. Heureusement, il existe des solutions légales qui permettent de s’assurer de son devenir.
Quel devenir pour l’animal lors d’un décès ?
L’animal rentre donc dans le patrimoine de la personne décédée. Tout comme en matière de divorce, il va falloir régler son sort lors de la liquidation patrimoniale.
Les articles 815 et suivants du Code civil définissent alors les règles de la succession, avec quelques particularités :
- Les frais d'entretien et de nourriture de l'animal du défunt sont considérés comme des dépenses exposées dans l'intérêt de l'indivision et doivent par conséquent être remboursés (Cour d'appel Paris, 27 mars 2003) ;
- La succession ne peut pas rembourser les frais de conservation de l'animal de la personne décédée en l'absence de concertation ou d'autorisation préalable (Cour d'appel Bordeaux, 6e chambre civile, 4 mars 2014, n° 12/04483) ;
- L’animal peut être l’objet d’un legs avec charges : la personne lègue une somme d’argent à une association ou à une personne, qui devra prendre soin de l’animal jusqu’à son décès.
Il est donc courant de prévoir une personne ou une association pour recueillir l’animal. L’obligation de couvrir les frais d’entretien permet de transmettre au futur propriétaire ce que l’on souhaite. Il faut alors s’assurer de désigner précisément le légataire afin d’éviter toute difficulté de mise en œuvre, la seule réserve étant que ce legs ne doit pas déshériter les ayants droits directs de la personne disparue.
Et dans les autres pays, peut-on léguer sa fortune à son animal ?
Si en France, il n'est pas possible de léguer sa fortune à son animal de compagnie, c'est différent dans certains pays où cette pratique est autorisée. C'est par exemple le cas en Allemagne, mais aussi aux Etats-Unis. On se souvient notamment de Michael Jackson qui avait légué plusieurs millions de dollars à son singe lors de sa mort en 2009.
Léguer une partie de sa fortune, voire sa fortune toute entière, est monnaie courante aux Etats-Unis. On peut notamment citer Gunther IV, chien le plus riche du monde, héritier de son père Gunther III, qui avait lui-même hérité de sa maîtresse la comtesse Karlotta Libenstein de l’Allemagne en 1991. Actuellement, la fortune du berger allemand est estimée à 328 millions d'euros.
Quelle est la meilleure solution pour l’animal ?
Nous avons exploré les possibilités législatives, mais qu’en est-il du point de vue de l’animal ?
Il est d'abord important de mentionner les difficultés qu’il va rencontrer au travers de la perte de son « humain de compagnie ». La meilleure solution pour lui reste de lui proposer un environnement le moins stressant possible. Plusieurs options se présentent alors :
- La famille peut prendre en charge l’animal : c’est ce qui est le plus fréquent. Les membres de la famille connaissent déjà le chien, ce qui assure une transition moins violente, et du point de vue légal, ce sont souvent les légataires désignés.
- Prise en charge par un tiers : à défaut, il est possible de désigner une tierce personne,et, idéalement pour l’animal, il faut qu’elle soit familiarisée à son contact, avec la possibilité de le prendre en charge. Un proche ou un ami peut alors être désigné comme légataire.
- Enfin, via une association, il est possible d’offrir à l’animal une nouvelle vie. Il est alors important d’anticiper, afin de prendre le temps de connaître l’association, les conditions de détention des animaux, etc. Il existe plusieurs types de refuge, de ceux qui offrent une « retraite » à l’animal, à ceux qui les replacent.
Dans tous les cas, du point de vue de l’animal, le mieux est de préparer en amont ces problématiques afin d’assurer une transition la plus douce possible lors du legs. Si l’animal a déjà passé du temps avec ses futurs propriétaires, le choc de la perte sera moins violent. Mais le plus important est de tenir compte de la personnalité de l’animal : certains s’adapteront plus facilement que d’autres, et il faut savoir le repérer.
Toutefois, il est également important de mentionner les dérives que ce type de procédures peut occasionner. Attention à ne pas faire de l’animal un objet de bataille juridique ou un outil de fraude fiscale. Des animaux disposants de fortunes immenses, comme le récent cas d'Amanda Lear, ou de Gerry, feront surement l’objet de batailles pour récupérer cet argent. Or, ce n’est pas à l’avantage de l’animal d’attirer autant l’attention.
Attention aussi aux batailles familiales : par exemple, en cas de contestation, de façon classique, c'est au demandeur de prouver ce qu'il avance. Ainsi si un neveu conteste le testament de sa tante qui a institué la Fondation assistance aux animaux légataires universels, il devra le prouver.
C’est pourquoi la question de définir l’animal comme une personne juridique disposant de droits est complexe : on peut facilement imaginer les dérives que cela occasionnerait, si le texte ne protège pas suffisamment l’animal.
Dr Stéphane Tardif
Docteur vétérinaire et rédacteur pour Wamiz