Le scénario est assez classique : vous promenez votre chien dans la rue, et là, sur le bord du trottoir, entre deux voitures, apparaît la crotte encore fumante d’un chien dont le propriétaire ne connaissait pas les toutounettes. Vous avez à peine le temps de l’apercevoir que votre chien a déjà le nez dessus, et le temps de pousser un « non » désespéré, vous voyez ce met délicat disparaître dans le ventre de votre toutou (miam).
Il y a de quoi pousser des cris d’horreurs et ne plus vouloir embrasser son chien. Pourquoi n’ont-ils pas, comme nous, une aversion naturelle pour les excréments ? Est-ce lié à un problème psychologique, sont-ils en souffrance ? On constate naturellement que le chien a globalement tendance à éviter ses déjections, alors pourquoi autant de chiens ont de telles pratiques ?
Est-ce que la coprophagie est naturelle ? Est-ce un comportement lié à un problème ?
La question a intéressé un groupe de scientifiques, dirigé par Benjamin Hart, de l'Université de Californie à Davis. Ils ont réalisé un double sondage en ligne auprès de milliers de propriétaires de chiens.
La première enquête, impliquant 1552 propriétaires, a évalué la fréquence de ce comportement chez les chiens, tout en explorant les différences potentielles entre les mangeurs de caca et les non-mangeurs de caca. Le deuxième sondage, avec ses 1 475 répondants, a exploré les raisons du comportement et a permis de déterminer si les produits de traitement commerciaux empêchent réellement les chiens de manger leur propre caca (spoiler alerte : ils ne le font pas).
L’étude s’intéresse uniquement au phénomène de coprophagie, définit par le fait de manger ses déjections, à plusieurs reprises. Les résultats sont sans appel : 16% des chiens ont mangé plusieurs fois leur propre caca. Et ceux qui le font aiment ça : 38% en ont une consommation hebdomadaire, et 62% en mangent tous les jours ! Un fait notable est que les chiens sont délicats dans le choix de leur met : ils ne mangent que des cacas frais, de moins de deux jours.
Ce que la science nous disait jusque-là sur la coprophagie
Les précédentes théories expliquant ce phénomène s’axaient sur deux voies : d’une part l’excrément peut être une source de nutriments, et d’autre part ce comportement vient compenser un stress, une frustration.
Le chien est connu pour manger les excréments d’autres espèces. L’humain, notamment, a des déjections très riches (en protéines et lipides) et il ne faut pas tenter d’en proposer à son chien au risque d’avoir une surprise dégoutante. On observe que les populations de chiens qui vivent à l’état semi-sauvage, proches de certaines villes, se nourrissent en partie des « déchets biologiques humains ». On dit que le chien est un carnivore opportuniste : il chasse à l’occasion mais n’hésite pas à s’alimenter sur une charogne, ou via des déjections encore riches en nutriments (et c’est le cas pour celles des carnivores domestiques : les cacas de chats sont souvent très appétents pour le chien).
Mais dans notre cas, il ne s’agit pas des déjections d’autres espèces, mais de sa propre espèce, et parfois même les siennes ! Il reste alors les hypothèses liées à un trouble comportemental, ou développer d’autres hypothèses.
La coprophagie du chien : un comportement qui reste mystérieux
A la lumière des résultats de cette étude, aucune de ces hypothèses ne vient être renforcée. Il n’y a aucun rapport entre l’âge, la race, le régime alimentaire ou l’âge de sevrage, et le fait de manger son caca. A priori le comportement est plus fréquent dans les foyers avec plusieurs chiens, mais c’est probablement parce que la ressource est plus abondante…
Les propriétaires rapportent une impression commune, par contre : les chiens qui mangent leur caca sont décrits par leur propriétaire comme des « mangeurs avides ». Mais difficile d’en faire une cause à ce comportement, ça n’explique pas comment on passe de l’aversion naturelle à l’envie de consommer.
Il y a deux observations que les chercheurs soulignent comme étant des hypothèses à creuser : la première est la délicatesse des chiens sur la date de péremption du caca. On connait beaucoup de parasites intestinaux ayant des durées d’éclosions des œufs dans les déjections de plusieurs jours, ce qui fait que ce comportement permettrait de maintenir une certaine propreté là où les chiens vivent. C’est une hypothèse très difficile à confirmer.
La seconde hypothèse vient du témoignage commun des propriétaires, qualifiant leur chien de mangeur avide. Cela suggère une motivation alimentaire. Car si le phénomène est bien acté pour les excréments d’autres espèces, jusque-là on distinguait les cacas de chiens de ceux d’autres animaux. Il se pourrait que le phénomène inclue occasionnellement ses propres déjections, qui restent une source riche de nutriments. Le problème majeur de cette hypothèse est qu’elle s’appuie sur une qualification mal définie par le sondage : le terme « mangeur avide ». Cela peut juste nous donner une piste à explorer, mais il faudra d’autres études.
Et c’est un sujet difficile à explorer, notamment pour une étude plus concrète qu’un sondage. Car à l’échelle individuelle, il y a beaucoup trop de paramètres qui viennent inférer : l’humeur, les habitudes, le stress, le tempérament, les capacités individuelles… et cela rend l’interprétation au cas par cas très présomptueuse, et les études basées sur des témoignages très fragiles.
Mon chien mange son caca, que faire ?
Au final, on se rend compte au fur et à mesure que ce comportement est relativement naturel, mais ça n’empêche pas d’apprendre au chien à l’éviter. Il peut en effet générer des problèmes de santé (diarrhée), et favoriser la transmission de parasites intestinaux (penser au vermifuge plus régulièrement avec un chien coprophage). Donc n’hésitez pas à limiter cette habitude autant que possible, par l’éducation positive notamment, et en limitant l’accès à des déjections. Préparer vous à une éducation difficile, car il faut souvent trouver une récompense qui soit supérieure à la motivation de manger du caca ; c'est plus difficile qu'il n'y paraît !
Attention aux produits censés limiter ou inhiber ce comportement : le deuxième sondage a montré qu’il n’y a pratiquement aucun effet des produits commercialisés dans ce but. Une thérapie comportementale reste donc la meilleure solution à ce jour !
Dr Stéphane Tardif
Docteur vétérinaire et rédacteur pour Wamiz
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