Naturellement, la bonne réponse n’est pas aussi simple qu'un oui ou un non. Déjà parce qu’il serait prétentieux de prétendre savoir comment les animaux perçoivent le monde, à l’heure actuelle. Les connaissances progressent très vite, mais il reste de nombreux points mystérieux, comme l’odorat, impossibles à étudier. Ensuite parce que nos connaissances en comportement ne nous permettent pas encore de savoir de quoi l’animal a réellement conscience.
Comment l’animal perçoit le monde ?
Pour bien comprendre comment un animal perçoit le monde, il est important de s’intéresser à ses sens, et sa cognition. Il reçoit les informations via les différents canaux dont il dispose (vue, ouïe, odorat, toucher…). Ensuite, son cerveau analyse ces informations et le chien produit alors des raisonnements, et des comportements.
N’importe quel animal, en naissant, dispose de très peu de comportements innés, en général le minimum pour survivre (réflexe de succion, d’élimination…). Il réalise ensuite des apprentissages qui vont lui permettre d’évoluer dans son environnement, de s'y adapter.
Or, un animal va très rapidement apprendre à distinguer les choses qui l’entourent, en leur donnant des propriétés, suivant ses sens. On le voit très bien avec nos enfants : ils explorent avec tous leurs sens les objets et les choses qu’ils croisent. C’est ainsi qu’il peut apprendre à distinguer des choses « bonnes » pour lui, ou au contraire des choses « mauvaises ».
C’est important d’appuyer sur ce point : cela explique les différences entre les individus. Chaque être vivant, au gré de ses expériences, aura un vécu et des préférences qui lui sont propres. Et notamment, les critères qui déterminent ce qui est bon ou mauvais pour lui sont propres à chaque individu.
La notion de danger
C’est sur ce point que les scientifiques bloquent : on sait à peu près quelles sont les caractéristiques qu’un humain donne à son environnement pour le décrire. Mais pour un chien, on ne peut que supposer, incapable de se mettre à sa place pour ressentir le monde comme lui. C’est comme demander à une personne aveugle de naissance de décrire les couleurs…
Pour mesurer comment un chien perçoit un danger quelconque, on ne peut que regarder sa réaction, et interpréter par rapport à notre ressenti (ce qui est source d’erreur même si ça aide à s’orienter), mais surtout par rapport à ses autres réactions.
Or, la notion de danger telle que nous la concevons est une notion complexe, impliquant des apprentissages que l'animal n'a pas. On va devoir distinguer deux cas :
- Le danger réel : un danger, c’est un stimulus qui menace directement l’animal. Il se mesure par les conséquences qu’il entraine : blessures, souffrances…
- Le risque : cette notion est souvent confondue avec le danger, mais elle est légèrement différente : le risque est le produit du danger, par la probabilité qu’il se produise. C’est une analyse un peu plus poussée : elle tient compte de l’intensité du danger et la croise avec la probabilité qu’il se produise, on évalue donc un peu mieux ce que craint vraiment l’individu.
Avec cette distinction, on se rend rapidement compte que la deuxième notion, le risque, demande un peu d’analyse complexe. Notamment, le cerveau se projette dans le futur, en mesurant les conséquences par des probabilités. Le cerveau fait ce genre d’analyse en permanence (même chez les animaux : chaque choix demande d’évaluer les risques et les avantages !).
Comment le chien analyse le danger ?
Les animaux sont bien capables de mesurer un danger, mais ils sont moins compétents que nous pour estimer le risque : ils peuvent négliger des dangers qui nous paraissent énormes (comme marcher près du vide) et surréagir à des stimuli peu dangereux (comme les feux d’artifice).
On comprend bien pourquoi, maintenant : le chien reconnaît un danger quand il en a déjà fait la malheureuse expérience. Il peut aussi réagir s’il perçoit un stimulus intense, ou par défaut, agir avec la peur de l’inconnu. Très souvent, la situation présente quand même un danger, et l’animal agit alors avec prudence, voire s’enfuit.
La perception du danger chez le chien est donc très dépendante de ses apprentissages et ses expériences. On reconnaîtra un chien peu aventureux à ses nombreux comportements de peur face à un objet un peu insolite ou intense. On peut aussi avoir des phénomènes de traumatismes, avec des phobies qui se mettent en place, plus ou moins justifiées par rapport au danger.
Comment l’animal réagit face au danger ?
C’est le point le plus passionnant, car bien que l’animal n’ait pas conscience de ce qu’il fait, moralement parlant, cela donne lieu à des observations incroyables. Notamment le chien, animal social qui vit en groupe, et qui de ce fait présente beaucoup de comportements collaboratifs.
On observe par exemple des signaux d’alerte collective, comme le hurlement ou les plaintes chez le chien. Ce signal, que les chiens ont tendance à relayer en s’écoutant les uns les autres, est souvent produit face à des situations exceptionnelles, comme des bruits intenses. Par contre, c'est typiquement le comportement qu'un chien produit en réponse à un danger potentiel, sans avoir conscience du danger lui-même.
Mais ce sont les comportements individuels qui sont les plus impressionnants (et aussi les plus durs à interpréter), comme les nombreux exemples de sauvetage. C’est une caractéristique assez propre au chien, d’être capable d’empathie et de percevoir la détresse chez d’autres individus.
Et les autres animaux, comment perçoivent-ils le danger ?
Ces comportements sociaux sont couramment observés dans le règne animal : mères qui protègent leur progéniture, parfois au sacrifice de leur vie. Regardez un oiseau éloigner un chat de son nid : il perçoit bien le danger que représente le chat pour ses petits, et il est capable de prendre des risques inconsidérés.
Ce qui est rare, et assez propre au chien (pour un carnivore), c'est sa capacité à coopérer avec d'autres espèces que la sienne. Cependant, ce genre de comportement très collaboratif est propre au chien qui vit près de l’homme, et dont les besoins fondamentaux sont satisfaits.
Mais c'est ce qu'il faut retenir : ce n’est pas parce qu'un animal fait preuve d'empathie, qu'il a conscience qu'il fait preuve d'empathie. Et ce n’est pas parce qu’il réagit face à un danger, qu’il en mesure réellement toutes les conséquences. La plupart du temps, il ne fait qu’avoir peur de l’inconnu ! Et la nature est plus pragmatique que nous, ce qui nous donne parfois ce sentiment de grande sagesse innée chez l’animal…
Dr Stéphane Tardif
Docteur vétérinaire et rédacteur pour Wamiz
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