Depuis que notre compréhension du cerveau évolue au niveau biologique, les murs entre le monde animal et le nôtre s’effondrent : nous découvrons que le fonctionnement du cerveau est le même chez tous les animaux, incluant l’humain. En plus, l’étude des animaux nous permet de mieux caractériser les capacités que nous avons en commun avec eux. Que ce soit pour produire des raisonnements ou réaliser des apprentissages, mais aussi pour la perception, les animaux et en particulier le chien nous révèlent des talents que l’on pensait être le propre de l’homme.
Nous allons aborder deux angles dans ce dossier, à savoir la perception du monde et la traduction que le corps fait pour le cerveau, puis la manière dont le chien utilise ce dernier pour produire ses raisonnements. Mais tout d’abord, voyons un peu comment s’organise un cerveau de mammifère.
Le chien est capable produire des raisonnements
Le cerveau est divisé en différentes parties, qui diffèrent suivant ce qu’on étudie : anatomie, fonctionnement, connections avec d’autres structures... Sur le plan anatomique, il y en a 3 majeurs :
- l’encéphale (ce qu’on appelle couramment le cerveau, situé dans la boîte crânienne)
- le cervelet
- la moelle épinière, et les nerfs périphériques
Un autre axe d’étude considère les parties dites conscientes et inconsciente ; il y a potentiellement beaucoup de découpages différents des parties du cerveau et il est facile de les confondre (périphérique vs central, somatique vs autonome, etc... la neurologie n’est pas une science aisée).
Nous allons nous intéresser au cerveau limbique, partie située dans l’encéphale et qui regroupe des structures autonomes (qui fonctionnent inconsciemment), ces structures jouent un rôle dans la production des raisonnements et des émotions, et sont présentes aussi bien chez le chien que chez l’homme. Elles sont en relation directes avec le cortex, qui produit également les raisonnements et la conscience, et les organes de perceptions reliés aux sens, qui lient le cerveau au monde extérieur. Le cerveau limbique est aussi appelé cerveau émotionnel.
Car c’est la première étape : pour bien comprendre comment le chien produit des émotions, il faut d’abord tenter de visualiser ce que le chien perçoit du monde. Et c’est la principale difficulté en éthologie, la science qui étudie le comportement : les scientifiques ne font qu’interpréter les comportements des animaux en imaginant ce qui se passe dans leur tête, mais au final, nous ne connaissons pas de moyens de percevoir le monde par leurs yeux.
Le chien a un net avantage pour décrire son environnement de manière plus complexe que nous, car il utilise tous ses sens, notamment l’odorat et le toucher, là où nous sommes très portés sur la vue. Mais à contrario, il perçoit très mal le monde au-delà de son environnement direct, et a du mal à se construire des images abstraites. Concrètement, le chien porte son attention uniquement sur ce qu’il a sous les yeux, mais il a tendance à mieux décrire son environnement proche que nous.
Le raisonnement du chien est comparable à celui d’un jeune enfant
On peut finalement comparer le cerveau du chien à celui d’un enfant, avant l’apprentissage de la parole (donc avant 2 ans), et cette séquence le montre parfaitement :
On observe un très jeune enfant, exprimant la joie de retrouver son papa le soir. L’émotion le submerge, et il l’exprime en trépignant et en vocalisant. Vous noterez que cette description convient à la fois à l’enfant, mais aussi au chien, et pour cause : c'est le même stimulus et le même mécanisme d'action qui provoquent cette similitude.
L’éthologie moderne aborde le comportement comme « ce que produit un individu pour s’adapter à son environnement », et pour se faire, on a longtemps considéré des comportements comme innés (présents instinctivement) ou acquis (nécessitant un apprentissage). Cette dichotomie est moins pertinente de nos jours, car le nombre de comportements qu'on pensait innés a fortement diminué, pour se limiter aux réflexes qui assurent la survie entre la naissance et les premiers apprentissages.
Et c’est là que les parallèles entre notre cerveau et celui du chien se font : les techniques d’apprentissage se ressemblent beaucoup. Pour n’en citer que deux que le chien pratique (car la liste n’est pas exhaustive) : l’apprentissage par essai-erreur et le mimétisme.
L’essai-erreur est un exemple commun à presque tous les animaux qui produisent des raisonnements. C’est une technique lente, mais elle a l’avantage de permettre à chaque individu de s’adapter parfaitement à ses désirs et ses besoins.
Le mimétisme est une autre technique d’apprentissage d’un niveau de cognition plus élevé (le chat a beaucoup de mal, par exemple, voir n’y arrive pas). Elle implique d’être capable de porter son attention sur un autre individu et de rester concentrer sur ce qui le concerne lui (sans se laisser distraire), donc une première étape vers la pensée abstraite. Cette compétence est propre aux espèces sociales comme le chien ou l’homme, qui vivent en groupe (ça aide en groupe de pouvoir s’imiter les uns les autres !).
Dans ses raisonnements, le cerveau émotionnel intervient autant que le cortex, la pensée consciente : le chien utilise ses souvenirs et son expérience pour établir des prédictions, de la même façon que nous (il va juste nettement moins loin que nous). Il se réfère à ses sensations, ses émotions, pour déterminer le choix qui lui apportera le plus de satisfaction.
Le chien, un être sensible ?
La législation française a récemment intégré cette notion dans le droit des animaux, et pour cause : étant capable de percevoir son environnement de manière complexe, il exprime des sensations, et manifeste des émotions, qui traduisent s’il perçoit les choses de manière positive, neutre ou négative.
Pour être clair car ce sont des mots massivement utilisés pour des sens variés : les émotions expriment la joie, la tristesse, la peur, le dégout, la colère, la frustration… et les sentiments, éprouvés par les humains, renvoient à des notions abstraites : la jalousie, la rancune, la haine ou l’amour, la culpabilité… Il est nécessaire d’avoir un langage verbalisé pour construire mentalement ces notions, et à ce jour, nous n’avons pas de preuve que le chien peut réaliser ce travail.
Par exemple, la notion de culpabilité a été testée récemment : comment le chien perçoit et comprend quand il fait une bêtise ? Les résultats sont sans appel : autant le chien sait très bien réagir face à la colère de son maître, et prendre les postures d’apaisement qui ressemblent à de la soumission, mais autant le chien n’intègre pas qu’il a fait une bêtise : il réagit exactement de la même façon qu’il soit coupable ou non, quand on le gronde, et à l’inverse, il n’y a pas de différence de réactions entre les cas avec bêtises, et sans bêtise.
Le chien n’a donc pas la possibilité de pousser son raisonnement trop loin, notamment dans l’abstrait. En revanche, pour ce qui est de réagir à son environnement immédiat, le chien est bien plus compétent que nous : il est capable de lire nos réactions en nous observant, en nous écoutant, et aussi en nous sentant. Il peut comprendre, parfois mieux que nous, les émotions que nous ressentons. Donc le chien est incapable de se projeter dans notre tête pour comprendre nos intentions, bien trop abstraites, mais il peut sans problème lire nos émotions, et il le fait souvent mieux que nous même !
En tant qu’animal social, il porte tout particulièrement son attention sur les émotions des autres, justement. C’est une condition nécessaire à la bonne cohésion d’un groupe : les différents individus s’influencent les uns les autres, et l’idée de partager les émotions permet de coopérer plus efficacement pour y répondre. Le chien est donc un animal naturellement empathique : déjà, il fait attention aux autres animaux qui l’entourent (chiens, humains ou autres), mais en plus, il s’intéresse particulièrement à satisfaire les besoins exprimés par les autres.
Est-ce que le chien perçoit le bien ou le mal ?
A la lumière de ces informations, on comprend tout à fait pourquoi le chien n’a pas la notion de bien ou de mal : il perçoit les conséquences de ses actes, que nous jugeons donc bonnes ou mauvaises, mais pour lui c’est surtout agréable ou désagréable, indépendamment des considérations morales qui peuvent être derrière le bien ou le mal.
Il est important de noter que l’intelligence du chien est variable d’un individu à l’autre. Comme chez nous, il y a des chiens qui ont des capacités impressionnantes (capables de se concentrer sur des exercices logiques pendant de longues périodes, quelques dizaines de minutes pour un chien), et d’autres qui sont plus limités dans leur apprentissage (pour le dire gentiment). Il ne faut donc pas généraliser des cas particuliers d’intelligence animale, comme étant le cas général.
Par exemple, il y a des chiens capables de "mentir" : on observe fréquemment en consultation des chiens qui exagèrent l’expression de la douleur, car ils ont appris que nos réactions dans ces moments étaient plus douces. Il y a même des chiens hypochondriaques, qui font semblant de souffrir pour obtenir de l’attention de la part de leur propriétaire. Mais la capacité d’adopter un comportement à l’opposé des besoins naturels, pour provoquer une réaction spécifique de notre part, cela demande des efforts conséquents pour un cerveau, et il faut pouvoir se projeter un tout petit peu dans l’abstrait.
On a donc des cas de chiens particulièrement intelligents, qui viendront contredire les limites que j’évoque dans cet article. C’est le cas des chiens particulièrement entrainés, j’ai observé récemment en comportement un chien capable d’apprendre presque instantanément, par mimétisme, absolument n’importe quelle suite de mouvements. Ce n’est pas évident, il faut apprendre au chien à apprendre !
C’est ce qui me permettra de conclure : le chien a un cerveau moins performant que le nôtre, mais il montre des capacités très similaires. Ces capacités cognitives sont à mettre en parallèle avec un autre sujet : les besoins fondamentaux. L'intelligence répond en effet à un objectif : satisfaire les besoins ; la différence dans les raisonnements canins et humains peut donc aussi s’expliquer par des besoins différents.
Dr Stéphane Tardif
Docteur vétérinaire et rédacteur pour Wamiz