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Evolution et effets de la domestication du chien

Par Éric Duchêne Rédacteur | Journaliste

mis à jour le

Le processus de domestication implique de maîtriser la reproduction chez l’espèce domestiquée. En général, la sélection appliquée par l’homme sert à rendre l’animal encore plus performant pour la fonction qu’il occupe. Or, le chien a subi une évolution à part au cours des 10 000 dernières années à nos côtés : c’est la seule espèce à avoir une telle diversité génétique, avec plus de 200 races de chiens. Peut-on encore parler d’une même espèce, sachant qu’il est aujourd’hui impossible de croiser certaines races entre elles sans procréation assistée ? Quel est notre impact sur l’évolution du chien ?

C’est une question pour laquelle les scientifiques ne sont pas outillés : le chien est effectivement un cas unique. La définition d’une espèce impose une certaine homogénéité dans les critères morphologiques (les individus doivent se ressembler), mais surtout que les animaux puissent se reproduire entre membres de la même espèce.

Or, pour le chien, il semble évident qu’au niveau de l’anatomie, cela va poser problème : avec des races de 2 à plus de 60kg, il est juste impossible de faire se reproduire naturellement tous les chiens qui existent. Ce n’est pas une question de génétique : on admet que des espèces différentes puissent avoir une descendance (souvent stérile, mais pas toujours : c’est le cas du chien et du loup par exemple).

Le chien : un grand nombre de races, et des maladies génétiques

La première conséquence de la domestication est donc visible : on observe aujourd’hui une diversité de chiens inégalable dans le règne animal. Cette évolution est récente : les morphologies de chiens sont restées peu nombreuses jusqu’à quelques siècles seulement. C’est avec l’arrivée du chien de compagnie que les races se sont développées, et on a vu apparaître une sélection qui s’opère sur des critères purement esthétiques.

D’ailleurs, ce sont ces critères qui ont été associés à des tares génétiques, et il n’est pas rare d’avoir une liste de maladies prédisposées avec la race.

Par exemple, la dysplasie de la hanche du Berger Allemand a été sélectionnée artificiellement, car le standard de la race impose un port du bassin qui n’est pas physiologique. De même, le côté trapu des brachycéphales a été associé à un squelette fragile, et des soucis respiratoires. La liste est longue tant la sélection drastique opérée sur certaines races tend à limiter le nombre de reproducteurs, et sélectionner les maladies… Car il existe des races pour lesquelles il n’y a que quelques centaines de reproducteurs au monde, ce qui est bien insuffisant pour maintenir une variabilité génétique.

C’est une conséquence récente de l’évolution du chien, qui impacte donc la santé du chien. La solution pour ne pas renforcer ce phénomène de sélection est de ne pas prendre une race, et de ne pas favoriser ce processus. Par ailleurs, les chiens issus de croisement ne souffrent plus de ces problèmes, alors qu’un chien de race est souvent accompagné de risque augmenté de maladie génétique. Pour certaines races, il s’agit même de certitudes : par exemple 100% des Cavaliers King Charles souffrent d’une pathologie cardiaque héréditaire entre 8 et 12 ans.

Une évolution comportementale héréditaire ?

Les données en éthologie, la science qui étudie le comportement, sont très pauvres en matière de génétique. La science ne relie pas encore correctement le comportement et les aspects biologiques qui sont derrières, il reste encore trop d’inconnus. Cependant, on commence à se donner des directions, et notamment, il en est une qui devient particulièrement intéressante : la voie de l’épigénétique.

Il y a quelques décennies, lors de la découverte du code génétique, les chercheurs ont vraiment focalisé dessus comme étant le seul support de l’information qui se transmet. Il s’avère que des observations tendent à nous indiquer qu’il y a bien plus que le « simple » code génétique. Par exemple, on peut sélectionner en quelques générations un comportement, ce qui a été observé chez le chien justement.

Cela reste très obscur, car pour l’heure, aucune recherche n’est venue dévoiler quelque chose d’aussi puissant que le code génétique. Les scientifiques ont attesté de la quasi-certitude d’un autre support que le gène et l’ADN, mais il reste encore à le trouver. Des hypothèses sont avancées, comme le processus de méthylation de l’ADN qui pourrait juguler son expression et transmettre une « mémoire » des évènements déroulés au cours de la vie.

En pratique, il reste encore des décennies de recherche pour pouvoir parler de compréhension, ce que les dernières années ont révélé est surtout l’incroyable complexité du vivant.

Quoiqu’il en soit, le chien est un formidable outil d’étude en éthologie, car c’est clairement l’une des espèces qu’on a le plus observé, et la relation étroite qui nous lie facilite beaucoup son observation. En quelques générations seulement, on peut réaliser des protocoles expérimentaux qui nous révèlent une quantité de données importantes : la traçabilité des arbres génétiques canin, surtout ces dernières années, est une mine d’or pour un éthologue.

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Quelle est la place du chien dans la société ?

Finalement, après avoir observé l’aspect biologique et morphologique pur, et le volet comportement, on peut se poser la question de l’évolution sociétale du chien. Car la domestication peut être caractérisée pour ses conséquences biologiques, mais le chien nous a aussi fait réfléchir sur notre place dans le règne animal.
L’évolution la plus marquante est le passage du chien d’un registre purement utilitaire à un registre affectif.

Il y a peu, la place de l'animal a évolué dans notre législation, celle-ci lui reconnaissant la possibilité de ressentir notamment le bien-être ou le mal-être. Cela paraît grotesque tant cette donnée semble évidente, et pourtant : nos sociétés mettent beaucoup de temps à intégrer ce genre d'informations dans leur fonctionnement.

Car remettre en cause la sensibilité du chien, c'est également remettre en cause l'utilisation pratique que l'homme en a toujours fait. Sa place a longtemps été celle d'un outil, avant d'être le meilleur ami de l'homme, et ce n'est pas toujours évident de réaliser de potentiels abus.

C'est encore plus vrai de nos jours, où la société intègre les animaux avant tout comme des biens de consommations. Dans un tel contexte, leur donner une part de sensibilité dans la loi peut venir s'opposer à un grand nombre de pratiques douteuses.

On apprend donc de nos erreurs, et la société humaine évolue peu à peu, au fur et à mesure qu'elle affine sa compréhension des animaux. Le chien aide grandement : sa place à nos côtés en tant que compagnon nous aide à mieux le comprendre. Ce qui est malheureusement difficile à supporter, c'est que cette évolution est effroyablement lente ! C'est d'autant plus difficile à supporter qu'aujourd'hui, armé des connaissances en bien-être animal, on continue d'exploiter les animaux, et notamment les chiens, dans des conditions parfois horribles.

Le chien a donc non seulement su creuser sa place dans nos vies et nos sociétés, mais a su jouer de son influence pour les faire évoluer également. Son rôle n'est pas déterminant, de nombreux autres facteurs interviennent, mais le chien a sans doute participé à améliorer la relation de l'homme avec tous les animaux.

Dr Stéphane Tardif
Docteur vétérinaire et rédacteur pour Wamiz

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