L'avis de l'éducateur Antonio Ruiz
Je pense qu’il est primordial de distinguer la gravité des morsures, même si la plus insignifiante d’entre elles doit être prise pour ce qu’elle est : un signal fort du chien.
Dans la quasi-totalité des cas, une bagarre entre chiens n’a pas de conséquences, je sais que si vous, qui lisez ces lignes, vous avez eu un chien blessé ou tué par un ou des congénères, vous allez hurler, mais je maintiens que ces cas sont exceptionnels. Qui plus est comme souvent, ils sont le fait de spécialistes récidivistes, pour lesquels je suis partisan des sanctions les plus sévères et dans certains cas de l’euthanasie.
Pour les autres, il ne faut pas s’inquiéter parce que deux chiens ont une explication. Les chiens dans ce domaine nous sont bien supérieurs. L’homme est sans doute l’être le plus intelligent de cette planète mais cela ne fait pas de lui l’animal le plus sage, loin s’en faut. Je m’explique : un chien élevé correctement acquiert durant ses premières semaines de vie ce que l’on nomme « l’inhibition de la morsure » qui lui permet de doser parfaitement la puissance de son coup de dent.
C’est pourquoi mon Border est capable d’attraper le nez d’un enfant qui lui serre le cou de trop près sans laisser aucune trace sur ledit nez ; malgré tout son message était on ne peut plus explicite ! De plus les chiens reconnaissent leur défaite et le vainqueur se montre « magnanime » dans le sens où il ne s’acharne pas (nous parlons toujours de chien bien élevé).
On peut considérer que les chiens mal élevés sont plus dangereux mais à qui la faute ? N’oublions pas, quand cela nous arrange, nos responsabilités. Nous aimons avoir l’omnipotence sur nos chiens sauf quand il s’agit d’assumer une faute. C’est pire quand l’humain se prête au jeu des prédictions : « chien qui a mordu, mordra ».
Si les mêmes circonstances se reproduisent et qu’entre les deux rien n’a été fait pour que la réaction du chien soit différente, alors oui, il remordra. Si après la première morsure on a pris soin de réfléchir à ses causes et que l’on a travaillé avec le chien, alors la réponse sera sans doute non, il ne remordra pas.
Petite anecdote
Il y a plusieurs années, en été, la SPA m’appelle suite à une demande d’abandon pour que je me rende chez les gens et que je teste le chien afin d’être sûr qu’il sera replaçable. Il s’agissait d’un montagne des Pyrénées qui venait de mordre un enfant. Rendu sur place, ses maîtres m’expliquent qu’ils sont arrivés de province où ils vivaient dans un village très tranquille pour s’installer en région parisienne, dans un pavillon dont la rue mène à une école.
Depuis des mois, les enfants matin, midi et soir passent devant le chien et certains l’énervent, l’excitent, le titillent. Le dernier dimanche en date, pas d’école évidemment, donc les maîtres laissent leur portail ouvert. Manque de chance, un enfant passe par là et le chien ne fait ni une ni deux, sort et attrape l’enfant au bras, sans grandes conséquences, je vous rassure. Et pourtant la réaction des maîtres est immédiate : il ne faut pas le garder puisque « chien qui a mordu… ».
Je leur explique qu’il n’en est rien et appelle la SPA pour dire que rien ne s’oppose au fait de prendre le chien. Accord du refuge qui pour des questions de surpopulation demande trois semaines de délai. J’explique alors aux maîtres que, pour le futur dossier du chien, il serait peut-être bien pour contrebalancer la morsure de présenter un chien obéissant.
À cette époque « Vidocq » ne savait même pas s’asseoir. Et éternel optimiste, j’ajoute : « Si tout se passe au mieux, peut-être reviendrez-vous sur votre décision. » Les maîtres acceptent d’éduquer le chien. Des années plus tard il coule des jours paisibles chez eux et n’a plus jamais remordu.
Attention ! même s’ils sont rares il existe des chiens qui sourient et d’autres qui s’expriment beaucoup. Dans le premier cas, il ne faut pas croire qu’il montre les dents pour menacer et dans le second il ne s’agit pas de grognements.
Conclusion
L’agressivité du chien est un réel problème car elle va plus loin que la morsure, il y a tout un imaginaire (chien des Baskerville, Baxter et autre Cujo de Stephen King). L’homme moderne perd de plus en plus son rapport à la nature et aux animaux, ajoutez à cela que notre société aseptisée refuse de courir le moindre risque, mais la vie sans risque n’existe pas.
Vivre avec un chien présente des joies immenses, des petits moments de bonheurs indescriptibles mais aussi des contraintes, des devoirs et quelques risques minimes pour qui s’en donne les moyens. Le nombre de morsures est bien sûr trop élevé, surtout quand on sait que la plupart pourraient être évitées.
Enfin pour finir sur une note optimiste, n’oubliez pas que même un chien qui a mordu peut très souvent être sauvé. Des professionnels sont là pour vous aider, faites appel à eux.
Les chiens de refuge ne sont ni pires, ni meilleurs que les autres et cette règle est valable y compris pour les morsures. Sachez que les responsables des refuges n’acceptent plus comme par le passé n’importe quel chien (voir anecdote sur le montagne).
En conséquence, les chiens se trouvant en refuge ne sont pas fous, n’ont pas été battus, et ne sont pas forcément traumatisés par leur séjour derrière les barreaux. Quand le personnel et les bénévoles se rendent compte que tel ou tel chien n’est pas facile, ils prennent encore plus de précautions au moment du placement, sachant qu’un certain nombre d’adoptants recherchent des chiens de caractère pour travailler ou pour la garde.
Ces chiens moins faciles leur sont destinés. Les refuges n’ont aucun intérêt à vous placer un animal que vous ramèneriez très vite alors faites-leur confiance et faites un beau geste ; adoptez votre chien en refuge. Croyez-moi, je ne suis pas un prêcheur : nous avons à la maison pas moins de quatorze chiens venant de la SPA.