La notion de maître vient de l’hypothèse de l’existence d’une hiérarchie très structurée dans les groupes de chiens. En effet, en observant les loups, ancêtre des chiens, les chercheurs ont observés la présence d’individus dit « alpha », dont l’autorité sur le groupe était marquée. Ils ont immédiatement appliqué cette structure sociale sur le chien, dont les racines génétiques impliquaient obligatoirement ce lien (sans toutefois avoir ces données chez les chiens).
La hiérarchie chez le chien
En réalité, ces observations sont faites sur le loup, et ne peuvent pas être généralisées au chien aussi facilement. Même s’il y a clairement des ressemblances, le chien est une espèce maintenant distincte du loup, qui suit une évolution guidée par la sélection humaine depuis près de 10000 ans, et dont la structure sociale a pu évoluer aussi.
Les observations récentes de groupes de chiens semi-sauvages ont confirmé les doutes : la structure des groupes de chiens est légèrement différentes de celle des loups : ce sont des groupes plus petits (3 à 5 individus en moyennes) et avec une structure sociale beaucoup moins « linéaire ». C’est-à-dire qu’on peut reconnaître un chien « leader » dans ces groupes, mais c’est très dépendant du contexte ! Le dominant d’une situation peut devenir le suiveur dans une autre.
Et puis surtout, les groupes ne sont pas stables, ils se reforment et se recombinent au hasard des déplacements des chiens. On observe alors que le dominé d’un groupe, peut tout à fait devenir le dominant dans autre groupe. Ces observations sont très similaires à la célèbre expérimentation qui a été menée sur une autre espèce sociale, le rat : l’expérience des rats plongeurs. Cette expérience a même été reconduite sur l’humain (nous sommes également des animaux sociaux), avec des résultats similaires.
Il est donc très probable que le loup, le chien, comme le rat ou l’homme, en tant qu’espèce sociale, construisent des groupes avec des individus ayant différents tempéraments, et la structure du groupe dépend des individus qui la composent.
Ainsi, la notion de dominance, maintenant, ne qualifie plus le chien directement (puisque son statut de dominant ne dépend que des chiens ou des humains qui l’entoure). On qualifie plutôt la relation entre deux individus, dans un contexte donné. Un chien ne nait donc plus dominant, mais il peut simplement avoir un tempérament autoritaire qui lui donne souvent la posture de leader dans un groupe. Mais il suffit qu'il soit dans un groupe plus autoritaire que lui pour qu'il change complètement ses habitudes.
Le couple homme-chien
Le chien a une formidable capacité à s’adapter et à communiquer avec d’autres espèces, en particulier l’homme. Mais il distingue très bien ses congénères de l’humain, même s’il entretient des relations très proches avec les deux. Du coup, la relation à développer avec le chien ne sera pas, comme c’était évoqué auparavant, une relation d’asservissement systématique : on vise plutôt une relation similaire à ce que les chiens développent entre eux (dans une situation d'équilibre).
On a vu que les chiens vivent en groupe, et que le statut de leader changeait en fonction des circonstances : c’est l’idéal à atteindre dans la relation avec votre chien. Non pas qu’il faille lui laisser prendre les rennes et faire des bêtises quand il le souhaite, mais lui offrir des moments de liberté pour pouvoir exprimer ses besoins, se mettre à sa portée pour pouvoir l’écouter et mieux le comprendre, et ne pas lui proposer systématiquement une interaction sous le signe de la dominance, est une relation bien plus équilibrée.
Par exemple, je m’appuie souvent sur le mythe du canapé : dans l’ancienne version, le chien, en tant que dominé, ne doit jamais prendre de posture de dominant, à savoir les positions stratégiques en hauteur. Or, un chien qui n’exprime pas d’autorité exacerbée dans ces endroits peut y accéder sans que la relation avec le maître soit dégradée ! Au contraire, cela peut devenir un lieu de partage et d’équilibre.
Par contre, même si l’ancien discours était très fermé, notamment pour ce qui est de ces rituels, il faut tenir compte du fait que le chien est un animal actif, qui demande beaucoup d’attention, et sait très bien user de ses atouts séducteurs pour obtenir ses petits plaisirs. Une relation équilibrée signifie qu’il ne faut pas partir dans un excès, mais ça marche dans les deux sens ! Il faut donc savoir poser ses propres limites.
Comment faire pour devenir un bon humain pour son chien ?
Au final, cet ancien discours avait au moins le mérite d’être uniforme, tandis qu’avec la nouvelle approche, il n’y a pas qu’une technique. Pour reprendre l’exemple du canapé, dans certains cas, on peut laisser monter son chien, mais dans d’autres cas avec des chiens envahissants, on propose d’instaurer des limites.
La bonne méthode consiste donc à savoir s’adapter, suivant le chien qu’on a. Un chien anxieux aura besoin de liberté, et d’expériences très positives, pour s’apaiser, et n’aura pas besoin de contraintes car il prendra peu d’initiatives. A l’inverse, un chien téméraire et têtu aura besoin d’un cadre pour apprendre à gérer sa frustration, son excitation, etc.
Il ne faut pas hésiter à passer du temps avec les animaux, en aidant bénévolement un refuge, par exemple, pour se faire une expérience auprès des chiens quand on débute. Apprendre à les connaître, à reconnaître leur tempérament, et quels sont leurs rituels, est un bon moyen de vous orienter vers un chien qui va vous correspondre ensuite.
Et si vous avez le sentiment de ne pas comprendre votre chien, ou qu’il ne vous comprends pas (s’il fait des bêtises ou refuse d’obéir quand vous tentez de lui apprendre des choses), il suffit de fréquenter des milieux canins, avec des professionnels : des balades collectives avec des éducateurs, voir des cours particuliers, vous aideront à mieux comprendre votre chien, et répondre à ses besoins.
Dr Stéphane Tardif
Docteur vétérinaire et rédacteur pour Wamiz