L’homme non seulement a influencé au sens large le comportement canin (par la sélection), mais il peut également influencer au sens strict l’évolution d’un rapport entre deux chiens. Et il le fait presque toujours quand les deux chiens vivent au sein de la même famille. L’homme commet très souvent une erreur gravissime liée, encore une fois, à l’anthropomorphisme : il a tendance à se ranger du côté du plus faible, en prenant le contre-pied absolu de mère Nature qui, attachée à l’espèce et non pas à l’individu, se range inévitablement du côté du plus fort.
Voici un exemple de comportement humain aussi fréquent qu’incorrect : les deux chiens de la maison se sont toujours bien entendus, car le second est arrivé quand le premier était adulte. Le chiot a donc grandi avec la conviction qu’il avait un chef de meute (le maître) et un supérieur hiérarchique (l’autre chien).
Mais en prenant de l’âge, et tout en reconnaissant l’autorité indiscutable du maître, le jeune sujet commence à penser que l’autre supérieur ne l’est peut-être plus autant que cela, car il est devenu lui aussi plus grand et plus fort. Il tente par conséquent de le provoquer, et le chien plus âgé réagit bien entendu pour imposer son autorité : il se jette sur le plus jeune et ce dernier, qui n’est finalement pas tellement sûr de lui, se couche sur le dos en pleurant. Dans la nature, l’affaire se serait terminée là, avec le rétablissement de rôles parfaitement définis inaugurant une nouvelle période de cohabitation pacifique.
Mais voilà que le maître entre en scène... et que fait-il à la vue de cet épisode ? Il gronde (ou même frappe) le chien plus âgé parce que l’autre – pauvre petit ! – se trouve dans un état d’infériorité manifeste et qu’il se sent le devoir de le défendre. Résultat : le jeune chien, qui avait décidé d’accepter de nouveau la suprématie de l’autre, se ragaillardit complètement en pensant que le chef de meute est de son côté. Et à la première occasion, il cherchera encore la bagarre. Le chien adulte réalise pour sa part que le maître a mis en doute son rôle hiérarchique, ce qui lui déplaît considérablement !
Si l’adulte est un sujet seulement partiellement dominant, il pourra alors réagir en se renfermant en lui-même et en souffrant dans son nouveau statut de dégradé. Il n’osera pas défier le maître, mais exprimera son stress à sa manière (en aboyant ou en régressant à des stades infantiles : uriner dans la maison, ronger les meubles et autres bêtises du même genre). S’il s’agit en revanche d’un sujet très dominant, il finira éventuellement par provoquer le maître en attaquant son rôle hiérarchique pour essayer de reprendre la situation en main. Cela se passera soit en douceur (désobéissances, révoltes, etc.), soit de façon sanglante (grognements contre le maître... ou pire).
Dans tous les cas, comme on peut le constater, il aurait mieux valu que l’homme se soit mêlé de ses affaires. La meilleure solution consistait à adopter l’un de ces deux comportements : – ignorer l’épisode. Il s’agit d’une réaction parfaitement naturelle car, très souvent, le chef de meute regarde avec dédain les accrochages du menu fretin et évite de s’en mêler ; – intervenir, mais pour appuyer le chien dominant.
Un retentissant « Va coucher ! » adressé au plus jeune suffit alors pour lui faire comprendre que l’idée consistant à défier l’autre était très mauvaise (au point que le « mégadirecteur galactique » de la meute a dû se déranger pour le redire). Le plus jeune saisira le message et le plus âgé n’aura aucune raison de s’acharner : en plus de rétablir une hiérarchie, on aura ainsi désamorcé la bagarre en cours.