Quels sont les principes de la médiation animale ? Dans quel contexte vous l’appliquez ?
Je m’appelle Patricia, je suis intervenante en médiation animale, et j’ai la chance de vivre chaque jour des rencontres extraordinaires, qu’elles soient humaines ou animales.
J’ai fondé l’association EVI’DENCE il y a maintenant 10 ans afin de mettre en place des projets de médiation animale favorisant la relation entre tous les êtres vivants. Ainsi l’association intervient dans des structures spécialisées auprès de personnes âgées, de personnes « polyhandicapées », d’enfants atteints de mutisme sélectif mais aussi auprès d’autres publics fragilisés. Le but étant de rechercher et de faciliter des interactions issues de la mise en relation intentionnelle de l’Homme et de l’Animal dans le respect des besoins fondamentaux de tous les êtres vivants participants.
Depuis septembre 2008, EVI’DENCE s’est également spécialisée dans la médiation animale en milieu carcéral. En accompagnant ces personnes que je ne veux ni juger, ni excuser… J’ai simplement la conviction que les Hommes gardent toujours au fond d’eux une part d’humanité, qui ne demande qu’à s’exprimer. Je pense aussi que les animaux peuvent catalyser cette expression.
En effet, l’animal apaise et ne juge pas, ce qui est très apprécié des personnes détenues pour lesquelles il est un médiateur neutre, un compagnon constant, une source d’affection permanente.
Cette médiation animale en milieu carcéral, aujourd’hui au cœur de l’action d’EVI’DENCE, vise à responsabiliser, revaloriser, apaiser et ainsi amener la personne détenue à un changement de comportement qui pourra lui permettre de mieux résister aux tentatives de délinquance voire de radicalisation qu’elle pourrait rencontrer.
Cette action permet également aux personnes détenues d'engager elles-mêmes une prise de conscience et un début de travail personnel au travers de deux processus clé : la responsabilité qu'elles développent vis-à-vis de l'animal et la confiance que l'animal leur accorde.
Pouvez-vous décrire brièvement en quoi consiste votre quotidien, avec le chien, et les personnes avec qui vous travaillez ?
Le programme mis en place à la maison d’arrêt de Strasbourg, en partenariat avec l’association TAAC, s’intitule « humaniser la prison avec l’animal » ou comment un homme et un animal réunis dans l’isolement peuvent s’offrir mutuellement une nouvelle vie ?
Ce sont 30 heures d'intervention en médiation animale par semaine : Elles s’organisent sous forme de groupes de parole ou d’accompagnements individuels, animés par trois intervenantes, accompagnées de leurs animaux facilitateurs de communication qui permettent d'aborder différents sujets par le biais émotionnel et comportemental.
Des passerelles se créent entre le détenu et l'animal grâce à la prise de conscience émotionnelle de situations analogues. En effet, par le biais de l'animal, les personnes détenues qui se refusent à travailler certaines thématiques vont s'ouvrir plus facilement en parlant d'abord de l'animal : les réactions et émotions éprouvées par celui-ci pendant la séance permettent de faire des liens avec celles du détenu par exemple.
Vous travailliez avec des petits mammifères il y a quelques années, pourquoi le chien maintenant ? Qu’est-ce que ce changement vous a apporté ?
Les chiens qui nous accompagnent sont les représentants les plus visibles de notre action. Ils se déplacent dans les coursives, sont sollicités pour une caresse, un moment d’affection. Les détenus s’arrêtent, nous remercient de leur présence et parfois se laissent envahir par l’émotion.
Les chiens sont notre premier lien, « notre porte d’entrée vers l’autre ». En tant qu’intervenants, nous devons être « la continuité de leur laisse » dans ce qu’ils véhiculent (non jugement, authenticité etc…).
J’ai toujours travaillé avec les chiens mais la direction de l’établissement et moi-même avons également décidé d’installer il y a maintenant 10 ans, trois locaux au cœur même de la Maison d’arrêt de Strasbourg dans les quartiers des hommes et des femmes, entièrement dédiés à la présence permanente d'une trentaine de petits animaux domestiques adoptés.
Il n’y a pas de chien ni de chat dans ces locaux car ils ne se prêtent pas aux conditions de la détention dans cette prison (pas de possibilité de promenades avec eux, surpopulation, turnover important…). Ce sont donc essentiellement des petits animaux (lapins, cochons d’inde, chinchillas, gerbilles, oiseaux…) qui ont connu une souffrance et bien souvent ont été abandonnés « à l’extérieur ». Chaque animal devient le compagnon de soutien d'un détenu dit "référent". Celui-ci prend en charge et est responsable de son animal (soins, entretien, nourriture).
Le symbole est fort : les détenus jugés pour avoir fait du mal à autrui, s’occupent ici de victimes…
Comme ce petit chinchilla, maltraité et abandonné, que j’ai recueilli et confié à une détenue. En quelques semaines son comportement a changé, il est devenu plus affectueux, moins sauvage et a repris confiance en l’humain. Tous les deux pansent leurs blessures respectives et se reconstruisent ensemble.
Que pouvez-vous dire sur l’intérêt de la relation avec le chien sur la capacité à socialiser ? l’empathie ? sur le bien-être en général ?
Cet accompagnement permet de mettre en lumière la part d’humanité qu’il y a en chaque détenu, et également de réhumaniser les lieux. Il permet d'établir des relations respectueuses avec les animaux mais aussi avec ses pairs, de lutter contre l'isolement, d’apaiser, et de remettre en place des règles sociales souvent inexistantes ou hors normes.
L'identification des réactions de l'animal, des émotions que ce dernier peut ressentir, peut permettre de développer l'empathie des personnes détenues, de favoriser un travail personnel sur leur violence, de les faire réfléchir aux émotions ressenties par les victimes notamment, et les conduire à travailler sur le vivre ensemble, la manière de se comporter vis à vis d'autrui.
Par ailleurs, en développant un lien avec l'animal, au fil des séances, la personne détenue se responsabilise (nécessité d'être présent à la séance, de tenir compte de l'animal), acquiert une meilleure image d’elle-même (capacité à prendre soin de l'autre, voir que l'animal le reconnait, ...) de manière à lui permettre d'être plus ouverte au suivi qui lui est proposé.
L’animal, le chien comme tous mes autres partenaires, participe à tous ces bouleversements, à ces moments d’émotions, à ces rencontres, mais finalement, en dehors du respect de leurs besoins fondamentaux dont j’ai toujours fait une priorité, un nouveau questionnement se pose à moi : l’Animal est-il d’accord de participer aux missions qu’on lui donne ? est-il prêt à collaborer ?
En effet, les outils actuels en éthologie, en étude du comportement, permettent d’interpréter aujourd’hui les postures et d’éventuels signaux de mal-être de nos animaux partenaires en médiation, nous renseignant ainsi sur leur état émotionnel et physique du moment, mais j’ai voulu aller encore plus loin que cet aspect « codifié » car cette interprétation restait une réponse insuffisante à mes questionnements….
Communiquant déjà de manière intuitive, j’ai voulu approfondir mes ressentis et mes interrogations en me formant à la communication inter-espèces.
« Donner la parole aux animaux », créer un lien, capter leurs messages et même dialoguer avec eux, conduira j’en suis convaincue, à cette alliance et à ce respect du vivant essentiels à notre évolution d’Etre Humain…
Que pouvez-vous dire sur les résultats de vos travaux avec le monde carcéral et le chien ? De la présence des chiens dans les prisons ?
Nous avons vu que la médiation animale et la présence des animaux, apaisent, pacifient et humanisent. Ils favorisent aussi d’une manière générale le travail sur soi chez la personne détenue qui souhaite changer de comportement. Mais pour que ce changement soit durable et complet, il est nécessaire que le regard que lui porte la société change également, et ceci notamment grâce à l’animal.
En effet ce dernier participe au réveil des consciences en permettant à des détenus soi-disant considérés comme "perdus", de mettre en lumière leur part d’humanité et donc de participer à ce changement de regard.
Voici quelques témoignages de personnes détenues qui ont pu en bénéficier :
« Vous et vos animaux m’avez emmené vers la liberté de mon esprit. Merci pour ce que vous m’avez apporté tout au long de ces mois les plus sombres de ma vie… » FRED, détenu
« Vous m’avez appris le respect des êtres vivants » G. Détenu
« L’animal permet de verbaliser ses sentiments, ses émotions, de travailler sur soi et sur les faits qui nous ont amenés à la délinquance… » Michel, détenu
« Avec les animaux, on se sent plus humain… » Joel, détenu
Merci aux animaux de participer à notre humanité !
Patricia ARNOUX
Association EVI’DENCE
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