Citation de Frans de Waal
"Je préfère l’approche d’Abraham Maslow à l’époque où il travaillait sur les différences d’attitude entre primates de haut et de bas rang. Peu de gens savent que, avant de devenir célèbre pour sa « hiérarchie des besoins » – thème essentiel de tous les manuels de psychologie et de formation au management–, ce psychologue américain a écrit sa thèse de doctorat sur la dominance sociale chez les primates. Je connais bien ses recherches, parce qu’il travaillait au parc zoologique Henry Vilas, à Madison, dans le Wisconsin, là où j’ai étudié les macaques vingt ans plus tard. Abraham Maslow a très bien décrit l’allure effrontée et assurée des singes dominants et la lâcheté fourbe, comme il disait, des subordonnés. Chez les singes rhésus, un mâle alpha marche une journée entière la queue en l’air, et il est le seul, même si d’autres mâles peuvent lever la queue s’il est hors de vue. Il bondit régulièrement d’un arbre en secouant ostensiblement les branches pour que tout le monde sache qui est le patron. Le concept d’« estime de soi » propre à Abraham Maslow est né de ce qu’il appelait le « sentiment de dominance » des primates. Au début, il utilisait les deux expressions comme si elles étaient équivalentes, montrant que les racines de la psychologie sont mises à nu dans le comportement des singes. C’est ainsi que Maslow évaluait l’assurance des primates de haut rang, y compris leur sentiment de supériorité. Qu’est-ce qui fait la différence entre Jessica Tracy et Abraham Maslow ? Le niveau de conscience de soi que nous sommes prêts à attribuer aux autres animaux. J’avoue que je n’aime pas le formuler ainsi, parce que, s’il est une aptitude difficile à définir, c’est bien la conscience."
Pourtant, il en parle souvent avec une grande finesse.
Ça ici par exemple, c'est du mozart
"Les grands singes réagiraient-ils par une chute de température ? Lisa leur a projeté une petite vidéo sur un écran. La scène était soit joyeuse – des soigneurs arrivaient avec des seaux débordant de fruits –, soit désagréable – un vétérinaire débarquait avec un pistolet à fléchettes hypodermiques (cette image étant ce qui se rapprochait le plus de celle d’un prédateur). Après avoir vu la vidéo, les grands singes devaient sélectionner un visage sur les deux qu’on leur projetait. Comme le but était de savoir quel visage ils associeraient spontanément avec quelle scène, ils n’avaient jamais été entraînés. Dès le premier jour, ils ont associé le visage heureux à la scène joyeuse, et le rictus désolé à celle du vétérinaire. Et, quand ils optaient pour ce dernier, la température de leur peau chutait, comme la nôtre ou celle de rats face à une situation déplaisante. J’ai du mal à expliquer ces résultats sans faire intervenir l’expérience subjective. Car il ne s’agit plus seulement d’émotions, que l’on peut éventuellement provoquer, mais de sentiments. Un sentiment naît quand une émotion pénètre la conscience et qu’on s’en rend compte."