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Conflits entre chiens : la possessivité

La rédaction

mis à jour le

Outre leur territoire, les chiens défendent tout ce qu’ils considèrent comme leur propriété privée, depuis leur os jusqu’à la voiture de leur maître. Cette attitude ne repose pas sur des problèmes de territorialité, comme on le croit parfois (le chien ne marque pas la voiture avec son urine !), mais sur la possessivité, justement.

S’agissant des rapports entre chiens, la voiture du maître ne constitue presque jamais un facteur déclenchant, et ce aussi parce qu’il est rare que plusieurs chiens montent simultanément dedans. Quand cela arrive (comme dans le cas des chiens de chasse), ils sont généralement enfermés dans des cages et peuvent ainsi difficilement se quereller. On voit beaucoup plus souvent éclater une bagarre pour la possession d’os, de balles, de bâtons et de tout ce que le chien pense s’être approprié et n’a pas envie de partager avec d’autres.

L’observation des groupes familiaux nous permet de comprendre que les adultes enseignent très tôt aux chiots qu’il ne faut pas toucher aux biens d’autrui. Le père accomplit en particulier le rite du tabou en plaçant un objet quelconque entre ses pattes (il s’agit la plupart du temps d’un simple caillou) et en fait voir de toutes les couleurs au chiot qui ose s’approcher, ne serait-ce que pour le flairer.

L’agression est foudroyante et vraiment terrifiante, surtout pour ceux qui ne sont pas habitués à ce genre de scènes familiales. J’ai vu une dame éclater en sanglots face à un jeu du tabou entre son chiot et... papa Bull Terrier : la scène du père fut tellement impressionnante (et les glapissements du fils tellement désespérés) qu’elle était convaincue de ne plus pouvoir arracher que des lambeaux de chiot de la gueule de l’adulte.

En fait, le chiot s’en tira quelque peu couvert de bave... mais absolument indemne : bien qu’il ait complètement disparu dans la gueule du papa, aucun poil ne lui avait été arraché. En contrepartie, il avait appris une précieuse leçon, et la balle que papa tenait entre ses pattes perdit subitement tout intérêt.

Autre exemple, l’histoire de Frida et Sam : Fritz, Berger allemand adulte, décide de faire le jeu du tabou avec Frida et Sam, chiots de la même race âgés de deux mois et issus de la même portée. Frida et Sam ne sont pas les enfants de Fritz, mais ce dernier l’ignore. Comme nous le verrons bientôt, le mâle adulte est persuadé que tous les chiots sont les siens, et c’est la raison pour laquelle il les éduque du mieux possible.

Fritz reçoit donc un biscuit, mais il ne le mange pas et décide de le déclarer tabou pour ses petits ; il se couche, met le biscuit entre ses pattes avant, fait semblant de rien et attend. L’attente ne dure pas longtemps : chiot Berger allemand rime avec « mort de faim chronique », si bien que le frère et la sœur se lancent presque immédiatement à l’assaut... et subissent en retour un traitement à base de cris sauvages et d’attaques faussement violentes, mais néanmoins convaincantes.

Résultat : les deux chiots hurlent de désespoir, se couchent sur le dos, font sous eux, etc. Un rituel de soumission totale classique. Dix minutes s’écoulent, et Fritz n’a toujours pas touché à son biscuit : c’en est trop pour Sam, qui retente l’expérience (on ne sait jamais) ; Frida se contente en revanche de regarder, en étudiant la situation. Sam essaye de prendre le biscuit, et la réaction de Fritz s’avère identique à la première (de même que celle de Sam, qui se sauve en hurlant et décide séance tenante qu’il a appris la leçon une fois pour toutes).

Depuis ce jour, Sam n’aime plus les biscuits, les trouve répugnants et ne voudra certainement plus en entendre parler tout le reste de son existence ! On peut alors penser que les deux chiots n’ont plus besoin d’autres tabous, mais voilà que Frida entre en action : elle ne se dirige pas du tout vers le biscuit et fait au contraire mine de ne pas le voir.

Elle va en réalité s’attirer les bonnes grâces de Fritz par la manœuvre de diversion la plus rusée (et la plus sournoise) à laquelle il m’ait été donné d’assister. Frida s’approche en rampant, en signe de complète soumission, les yeux baissés et en laissant échapper quelques gouttes d’urine, juste pour établir a priori que l’adulte est le chef suprême et absolu et qu’elle accepte pleinement cet état de fait.

Ce comportement s’avère absolument normal chez les chiots qui ont reçu une leçon de savoir-vivre : Fritz est effectivement inhibé par ces signaux de pacification qui consistent à mettre les mains – pardon, les pattes – en avant pour se protéger. Il regarde la petite chienne sans plus l’attaquer et accepte ses signaux : mais quand elle s’approche de nouveau de la zone biscuit, il l’avertit d’un sourd raclement de gorge. Les choses deviennent alors un peu moins normales que d’habitude. Dès que Fritz émet son grognement sourd...

Frida, au lieu de s’en aller multiplie ses signaux de soumission et rampe littéralement vers le chef en lui couvrant le museau de baisers, en se jetant ensuite sur le dos et en lui offrant sa gorge : au point que Fritz cesse complètement de grogner et prend un air mi-perplexe, mi-flatté. Cela dure au moins cinq minutes, mais tandis que l’adulte se calme, désormais convaincu de devoir exclusivement ces hommages à son statut de chef... la petite chienne commence à jouer de la patte en donnant des coups de plus en plus forts au biscuit, qui finit par s’écarter d’un bon mètre de Fritz.

Frida arrête alors brusquement de « cirer les bottes » de l’adulte : elle saute sur ses pattes, s’empare du biscuit et se sauve à deux cents à l’heure en arborant l’air le plus satisfait qu’un museau de chiot puisse revêtir. Quant au museau de Fritz... cette histoire date de plus de vingt ans. Si une bulle était apparue au-dessus de sa tête avec la mention « Sapristi, elle m’a eu ! », le concept n’aurait pas été plus clair.

Alliée à celle, plus « classique », concernant le « jeu du tabou », cette anecdote nous apprend plusieurs choses :
- la possessivité à l’égard d’un objet (à la différence de la territorialité) se manifeste au sein d’un champ d’action limité, équivalant plus ou moins à celui que le chien décrit avec son museau sans bouger ses pattes.
- l’agressivité déclenchée par la possessivité, plus immédiate et intense que celle inhérente à la territorialité, revêt une forme ritualisée uniquement avec les chiots, et peut déclencher une véritable bagarre, parfois sanglante, entre adultes.
- le sexe ne joue pas un rôle déterminant dans la réaction agressive, car les mâles s’avèrent aussi possessifs que les femelles.

En général, cependant, le mâle est plus enclin à renoncer quand il comprend qu’un objet appartient à un autre chien, alors que la femelle, plus têtue, risquera de le vouloir à tout prix (en allant parfois jusqu’au combat, dans le cas de sujets adultes). Conséquences pratiques : faire jouer deux chiens avec une seule balle (surtout si cette dernière appartient à l’un d’entre eux) peut provoquer un conflit même entre de vieux amis : mieux vaut l’éviter.

Les chiens défendent parfois certains objets qu’ils trouvent par hasard (un bâton, par exemple), mais en arrivent alors rarement au combat. Quand une bagarre éclate, elle a presque toujours une origine hiérarchique, et la possessivité sert simplement de prétexte.

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