Le Roux-sable est incapable de voyager en voiture (il est saisi de nausées). Nous confions ces deux chats à un vétérinaire deux fois par an quand nous prenons une dizaine de jours de vacances. L'assistante du vétérinaire les adore. Ils s'entendent comme larrons en foire avec l'énorme chien du vétérinaire et les autres animaux mis en pension. Durant cette période le cabinet ne désemplit pas : des gens viennent juste pour les voir, comme au zoo.
Ils sont vraiment différents quoique issus des mêmes parents ; l'un est très spectaculaire, l'autre très élégant et racé. On ne pouvait pas les séparer car ils s'adorent ; le roux est très maternel pour son frérot, tête-en-l'air. C'est un chat altruiste. Sans doute l'éleveur n'a-t-il pas bien fait attention à ce que chaque chaton reçoive sa part de nourriture à égalité ; mais chez nous, il a vite repris des forces puis un poids normal ; il s'effaçait devant son frère, râblé, solide et musclé, le laissant vider la gamelle, mais il a vite appris qu'elle se remplissait à nouveau pour lui et que l'autre, vite rassasié, le laissait manger tout son soûl.
En revanche, le noir est un pleutre. Les premiers jours les deux chatons ont fait la connaissance d'une petite chatte de huit ans qui nous rend visite depuis des années et qui fut surprise de trouver ces deux intrus ; le noir injuria la fille puis lui jeta dans les pattes son imposant frère, naïf. Scène amusante : depuis, le roux se comporte en amoureux transi pour cette belle européenne maigrichonne qui ne pense qu'à manger (n'importe quoi ! en quantité astronomique).
Le noir est capable de se rendre invisible (je crois que les chats ont des dons qui relèvent de la parapsychologie) ; ce matin, par exemple, j'entre dans le bureau de ma femme ; je vois le roux dans un panier à pain en osier qu'il affectionne et qui est placé à demeure. Je m'inquiète de son frère... Ma femme se met à rire : "Mais il est là !" En effet, je le découvre mélangé à une veste d'intérieur en laine rouge, à des feuilles de papier, à une paire de pantoufles, à un sac en toile orange, sur le sol, près d'une chaise. Il paraît qu'il y avait eu une sorte de dialogue entre les minets et que son frère avait balancé tout ça de la chaise sur le sol, avant d'aller s'installer dans son panier : le frère noir ayant alors pris place parmi ce fatras qui lui convenait pour une sieste...